La contribution de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey à l’aménagement de la langue au Québec

Jean-Claude Corbeil

C’est un redoutable honneur, pour moi, que de faire l’éloge de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey.

Du moins, est-ce ainsi que je devrais commencer pour me conformer à la convention propre à ce style de discours. Or, cela ne correspond ni à mon sentiment ni à mon état d’âme. Bien au contraire, car je garde un tel sentiment de plaisir et de reconnaissance à leur endroit au souvenir de l’amitié qui s’est nouée entre nous au cours des années où nous nous sommes rencontrés régulièrement, unis par un même intérêt pour la terminologie, la lexicographie et la sociolinguistique, que j’ai retrouvé le bonheur de cette époque en relisant les textes d’Alain et de Josette présentés lors des nombreuses rencontres et publications en terre québécoise.

Je me propose aujourd’hui d’évoquer ce que je retiens de la contribution scientifique de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey à la constitution progressive d’une théorie et d’une pratique de l’aménagement de la langue française au Québec, surtout dans les années qui ont précédé et suivi la Loi sur la langue officielle (1974) et la Charte de la langue française (1977). Cette contribution s’est manifestée sous forme d’exposés lors de colloques ou de collaboration à des ouvrages collectifs québécois. Josette Rey-Debove et Alain Rey ont ainsi été étroitement associés aux travaux relatifs à l’aménagement de la langue, conduits au Québec. Ce sont ces textes que j’ai regroupés et relus.

De 1971 à 1977, l’Office de la langue française a organisé une série de colloques annuels, sur des sujets précis, en terminologie et en lexicographie, liés aux problèmes que posait l’exécution de son mandat. Ces colloques, conçus et organisés comme des séminaires, avec exposés suivis de discussion, étaient, en conséquence, réservés à un petit nombre de personnes renommées pour leur connaissance du sujet, venant du Québec, de France, de Belgique, du Luxembourg, parfois d’Autriche ou d’Allemagne. Le thème général de chacune de ces réunions était choisi par l’Office, les sujets de chaque exposé de départ bien délimités et confiés à une personne. L’objectif était à la fois humble et ambitieux : exposer, discuter, préciser les présupposés théoriques d’une pratique de la terminologie et, d’une manière plus globale, de l’aménagement de la langue, qui soulevaient, les uns et l’autre, de nombreuses et difficiles questions. Josette Rey-Debove et Alain Rey ont participé assidûment et activement à ces colloques.

Les traducteurs et terminologues des entreprises étaient aux prisés avec les mêmes questions, d’une manière encore plus pressante puisqu’ils étaient plongés, au jour le jour, dans la mutation linguistique et terminologique provoquée par la généralisation de l’emploi du français comme langue de travail et langue du commerce et des affaires en remplacement de l’anglais, alors très dominant dans ces fonctions. La Société des traducteurs du Québec (la STQ de l’époque, devenue depuis l’OTTIAQ, l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec) a pris l’initiative d’organiser, à l’intention de ses membres, une série de six colloques, entre 1976 et 1985, et d’y associer l’Office, dans le but d’assurer une plus grande uniformité des méthodes de travail en terminologie d’une équipe à l’autre et d’augmenter ainsi la qualité et la fiabilité du travail de ses membres. Ces réunions ont permis d’étendre à ces milieux professionnels les retombées scientifiques et méthodologiques des colloques de l’Office. Alain Rey a participé à la rencontre de 1985.

Des universitaires ont, de leur côté, organisé des rencontres auxquelles Josette Rey-Debove ou Alain Rey ont également participé : en 1982, à l’Université Laval, à l’initiative du regretté Guy Rondeau, sur le thème de la définition et de la synonymie en terminologie; à l’Université de Sherbrooke en 1991, sur les anglicismes, à l’initiative de Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière.

Enfin, trois ouvrages collectifs ont paru, publiés conjointement par l’Éditeur officiel du Québec et la maison Le Robert grâce à l’intervention d’Alain Rey sur des sujets reliés à la sociolinguistique du Québec : La norme linguistique en 1983, La crise des langues en 1985 et Les langues autochtones du Québec en 1992, ce qui, compte tenu de la renommée et de la large diffusion des ouvrages de la maison Le Robert, représente une importante contribution de la part d’Alain Rey. Un autre collectif auquel ont contribué nos invités a paru chez Niemeyer en 1994 portant le titre de Langues et sociétés en contact, sous la responsabilité éditoriale de Pierre Martel et de Jacques Maurais.

Je m’en suis tenu aux colloques et ouvrages auxquels ont participé soit Josette Rey-Debove, soit Alain Rey, soit tous deux à la fois. J’en ai colligé et relu les textes, au total 14, dont les titres et références figurent en annexe. Quatre textes d’Alain Rey traitent de terminologie, nature et fonction, normalisation; sept, de sujets qui concernent aussi bien la terminologie que la lexicographie (néologie et synonymie, emprunt, rôle de l’illustration dans les lexiques ou dictionnaires); trois textes d’Alain Rey se rapportent à la lexicographie, norme et dictionnaire, variation linguistique.

Ce qui ressort de ces textes, c’est leur grande qualité, le sérieux et le soin avec lequel leurs auteurs les ont préparés, qu’il s’agisse de ceux de nos invités d’aujourd’hui ou ceux des autres collaborateurs à ces réunions et ouvrages. Le Québec a pu, grâce à eux, progresser très rapidement, et avec plus de sûreté et de confiance, dans la constitution d’un corps de principes pour guider son action en matière de langue, en trouvant réponse aux questions qui se posaient, ou en accédant plus promptement à l’information connue et disponible, par exemple celle relative au phénomène de la synonymie, aux diverses typologies des emprunts, à l’inventaire des procédés de création néologique ou au rôle de l’illustration.

Terminologie

En terminologie, un propos d’Alain résume bien le dilemme devant lequel nous nous trouvions tous dans les années 1970. Il vaut mieux, écrit Alain Rey, « être au jour des théories actuelles plutôt que de travailler sans le savoir dans des problématiques issues de théories déjà anciennes, [même si la théorie ne peut pas toujours] répondre aux questions qui sont posées par les praticiens », ou, continue-t-il plus loin, « la pratique terminologique se désintéresse de la terminologie [théorique], ce qui est son droit et ce qui lui permet d’avancer cahin-caha, [en se satisfaisant] de théories hybrides, simplistes, en général archaïsantes » (1977, p. 247 et 249[1]).

Alain Rey a présenté deux communications traitant l’une et l’autre de la nature de la terminologie : en 1975, « Préalable à une définition de la terminologie »; en 1977, « Définition de la terminologie en tant que discipline linguistique autonome : état de la question ». Il s’agissait alors de mieux situer la terminologie, d’une part, par rapport à la lexicographie, d’autre part, à la traduction, et d’en tirer les conséquences sur la procédure de travail. Car, à cette époque, et encore aujourd’hui d’ailleurs, on discutait vivement des mérites et avantages comparés de la terminologie systématique et de la terminologie ponctuelle. « L’objet de la terminologie, pose Alain Rey, ce sont donc les vocabulaires qui sont liés à un domaine organisé ou à un domaine organisable du savoir, défini socialement et correspondant à des pratiques réglées » (ibid., p. 239). De plus, la terminologie implique « un besoin de normalisation [...], de régler un certain nombre de rapports entre les termes dans leur usage, entre les termes et les référents extralinguistiques, entre les termes et leurs utilisateurs » (1977, p. 242). En conséquence de quoi, « il faut faire des vocabulaires systématiques » dans lesquels « les éléments notionnels désignés, c’est-à-dire les termes, ne trouveront leur définition et leur place valable que s’ils sont au préalable situés dans un système notionnel » (ibid., p. 245).

Plus tard, en 1985, en examinant « les fonctions de la terminologie : du social au théorique », il précisera les motifs de ce besoin de normalisation, qui découlent, soutient-il, de trois fonctions distinctes de la terminologie : une fonction socioscientifique —faciliter la dénomination et la circulation des connaissances; une fonction socioéconomique— assurer l’efficacité et la rectitude des échanges économiques; et une fonction sociopolitique —régler les rapports entre les langues et entre les variantes d’une même langue.

On comprend alors mieux pourquoi la terminologie a pris tant d’importance au Québec, surtout dans les premières années de la conception et de l’application d’une politique linguistique. Il s’agissait alors de substituer le français à l’anglais, donc d’opérer une transfusion massive de terminologie française dans l’usage québécois, en lieu et place des termes anglais. Cette transfusion est loin d’être terminée : des termes anglais subsistent toujours, surtout en langue orale et familière; leur statut sociolinguistique est ambigu et leur traitement en lexicographie souvent discuté et discutable.

Néologie et emprunt

Deux sujets concernent aussi bien la terminologie que la lexicographie : la néologie et l’emprunt. En 1974, l’Office organisait un colloque consacré à « l’aménagement de la néologie ». Nous y avions invité, pour en discuter, les lexicographes les plus actifs de l’époque : Claude Dubois, Louis Guilbert, Paul Imbs, Alain Rey et Josette Rey-Debove; les représentants de grands groupes de terminologie : le Haut Comité de la langue française de Paris, le Centre international d’information pour la terminologie, le Bureau de terminologie de la Commission des communautés européennes, le Conseil international de la langue française et l’Association française de normalisation.

L’Office prônait alors un recours plus systématique à la néologie comme contrepoids à la prolifération des emprunts à l’anglais, souvent emprunts de luxe qui manifestaient, au Québec tout au moins, une ignorance réelle des ressources du français, ou la pression de la mode ou d’une trop grande familiarité avec la documentation en langue anglaise. L’Office avait mis en place une petite cellule pour expérimenter une pratique active de la néologie, de sens ou de forme, avec, comme hypothèse, de proposer des dénominations françaises aux emprunts récents de grande diffusion, avant qu’ils ne s’ancrent solidement dans le vocabulaire ou dans les terminologies.

Lors de ce colloque, nous voulions examiner la faisabilité d’un réseau de néologie entre la France, la Belgique de langue française et le Québec. Nous proposions de mettre en commun nos ressources et nos travaux autour de trois fonctions principales : 1. le dépistage des besoins néologiques, de la nouveauté des choses ou des concepts; 2. le traitement et la recherche, c’est-à-dire l’analyse des divers moyens linguistiques de nommer la nouveauté et 3. la diffusion de propositions néologiques, en observant leur accueil et, éventuellement, en normalisant les termes nouveaux.

Nous avions demandé à Alain Rey de traiter la question préalable : Qu’est-ce, au juste, qu’un néologisme? La réponse fut exhaustive et beaucoup plus complexe que nous ne l’avions pensé. Surtout en ce qui a trait à l’examen de la notion même de nouveauté, nouveauté formelle ou sémantique, nouveauté objective ou subjective, aire de manifestation de la nouveauté, soit d’une région à l’autre de la francophonie, soit entre langue de spécialité et langue commune. Dans un exposé postérieur, j’ai retrouvé, clairement formulée, l’impression qui se dégageait de l’exposé : le néologisme « dépend d’un jugement relatif et même subjectif, lié à sa définition même, qui repose non pas sur la nouveauté objective, mais sur un sentiment de la nouveauté » (Rey 1985c, p. 282).

Les discussions à la suite de cet exposé et tout au long du colloque furent très vives. Ce fut, pour l’Office, un cruel retour à la complexité du phénomène de la néologie, la fin d’une certaine naïveté quant à la possibilité d’une intervention dans le processus néologique et à son succès, surtout sous la forme d’une collaboration internationale francophone.

On a invité Josette Rey-Debove à traiter de l’emprunt, sans doute à cause de ses travaux et réflexions en préparation de son Dictionnaire des anglicismes, paru en 1980 dans la collection des Usuels du Robert. Ses remarques sur la perception des mots étrangers, sur la nature et le traitement sociolinguistique et lexicographique de l’anglicisme ont stimulé nos propres réflexions. Elles ont influencé directement la conception et la définition, par l’Office de la langue française, d’un Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères, arrêté et publié en 1980.

Il n’est pas si facile, remarque d’entrée de jeu Josette Rey-Debove dans sa contribution de 1976, de percevoir qu’un élément (un mot, un sens, une construction, une expression) n’est pas « de langue française ».

On peut penser que l’élément étranger se reconnaît à son expression, sa graphie, sa prononciation. Ces repères ne sont pas si sûrs. Des éléments, d’apparence nettement française, sont en fait étrangers, par exemple emphase au sens de « accent », supporter au sens de « soutenir  », parler à travers son chapeau à la place de parler à tort et à travers. En revanche, des mots d’allure étrangère sont français, intégrés dans le lexique de la langue française depuis parfois fort longtemps, par exemple geyser (1783), iceberg (1819), coqueron (1702), coroner (1672), etc.

D’autant, fait observer Josette Rey-Debove, « qu’aucun locuteur n’est jamais entièrement compétent pour les mots de sa langue. Le lexique est, dans la langue, ce qu’il connaît le moins bien, le domaine d’insécurité où il se sent incompétent » (1976, p. 84). S’il rencontre un terme inconnu de lui, comment savoir si ce terme « inconnu de lui, est ou non un terme connu des autres, si cela relève de sa compétence personnelle, ou si c’est un terme qui échappe au système actuel de la langue » (ibid., p. 84) ? Cette difficulté de juger favorise la circulation de l’emprunt. Pourquoi certains mots seraient-ils à éviter et d’autres pas ? Quelle règle de conduite suivre, surtout quand on est un locuteur spontané, naturel, de la langue, et non un professionnel, un linguiste, un traducteur, un terminologue ou un lexicographe, eux-mêmes pas toujours du même avis ?

Cette insécurité est nettement accentuée dans les pays de contact linguistique, comme au Québec, et ceci pour au moins deux raisons.

D’abord, une certaine familiarité s’établit entre les deux langues qui réduit le sentiment d’étrangeté de l’autre langue et, consciemment ou inconsciemment, le passage d’un mot de l’une à l’autre langue, ou même, rend plus aisé, plus tolérable à la limite, la production de phrases mixtes dont la syntaxe est celle de la langue maternelle et le vocabulaire, celui de l’autre langue.

Ensuite, parce que les deux communautés ont « un si grand nombre de références en commun que, si l’une manque d’un terme, elle accueille d’autant mieux le terme désignant la même réalité dans l’autre langue » (ibid., p. 88). J’ajouterais qu’il arrive souvent que ce soit le terme de l’autre langue qui vienne spontanément à l’esprit.

Ce n’est pas le cas, actuellement en France, où l’ignorance généralisée de l’anglais à la fois protège le français et favorise l’emprunt de snobisme. Le bilinguisme en France, dit Josette Rey, est « un bilinguisme de classe » : c’est par les gens instruits, souvent en position d’autorité mais qui savent plus ou moins bien l’anglais, que l’anglicisme se répand.

En ce qui a trait à la nature de l’emprunt, les observations de Josette Rey-Debove ont beaucoup contribué à définir la position de l’Office durant les années 1970.

Pour les besoins de son dictionnaire et par rapport au concept général d’emprunt, Josette Rey-Debove définit l’anglicisme du point de vue étymologique, par référence à l’histoire du lexique français, pour ainsi distinguer les emprunts à l’anglais des emprunts aux autres langues. « Qu’est-ce donc qu’un anglicisme ? C’est un mot qui appartient à la langue anglaise (d’Angleterre ou d’Amérique) et qui est passé en français, d’abord timidement, [...], par quelques personnes, puis [...] de plus en plus massivement », écrit-elle dans son introduction au Dictionnaire des anglicismes (1980, p. VII).

En se plaçant cette fois du point de vue linguistique, elle pose la double distinction, l’une fondée sur la pertinence de l’emprunt, entre emprunt de nécessité et emprunt de luxe, l’autre sur la forme de l’emprunt, entre emprunt sémantique (les faux amis), emprunt lexical (forme et sens) et calque (traduction littérale d’un mot composé). Ces distinctions, devenues classiques aujourd’hui, étaient moins connues et mal intégrées dans l’analyse du phénomène de l’emprunt à cette époque.

À cause de notre expérience du contact linguistique avec l’anglais, vécu dans la quotidienneté, source d’une véritable colonisation —pollution dirait-on aujourd’hui— du lexique de la langue française par celui de l’anglais, les Québécois étaient, et sont toujours, très sensibles à l’aspect sociolinguistique de l’emprunt. Nous avions besoin, et nous avons encore besoin, d’établir une distinction entre emprunt et anglicisme pour, d’une part, juger chaque cas d’emprunt selon le critère de la légitimité, et, d’autre part, distinguer des autres les emprunts intégrés au lexique, du Québec ou de France, à la suite d’un processus d’assimilation.

Ces deux manières de considérer l’emprunt coexistent encore aujourd’hui. Les opinions s’affrontent toujours, partagées entre l’aspect historique, sous couvert d’enrichissement du lexique, et l’aspect sociolinguistique, par crainte d’une prolifération des emprunts, sur fond d’analyse statistique, c’est-à-dire du nombre et de la fréquence des mots anglais dans l’actualité du lexique et des terminologies. Le plus souvent, l’expérience réelle et plus ou moins intense du contact linguistique et la manière de percevoir ou d’évaluer ses conséquences à long terme transforment en dialogue de sourds la confrontation des opinions.

Lexicographie

On a souvent tendance à distinguer dictionnaire descriptif et dictionnaire normatif comme s’il y avait opposition entre ces deux objectifs de l’analyse du lexique d’une langue. Josette Rey-Debove et Alain Rey y voient au contraire une complémentarité découlant de la nature même du dictionnaire et de la manière dont il s’élabore. « Tout dictionnaire de langue qui se veut uniquement descriptif exerce néanmoins un choix normatif par rapport au corpus », pose au départ Josette Rey-Debove en introduction à son exposé sur le traitement des anglicismes par les dictionnaires Le Robert (1991, p. 285). Elle rejoint ainsi les prises de position d’Alain Rey : « En effet, le dictionnaire, qu’il soit libéral ou puriste, n’échappe pas à la norme » (Rey 1983, p. 553).

Cette connivence entre description et norme découle, selon Alain Rey, en premier lieu de la manière d’observer et de décrire le lexique. « Tout dictionnaire, écrit-il, puise dans la pluralité d’usages et prétend fournir une image de la “langue”; en fait, il construit une proposition d’usage fondée sur une hiérarchie » (ibid., p. 546). Il précise plus tard : le dictionnaire « est une construction, une tentative pour proposer une description normée, équilibrée d’une réalité dynamique et extrêmement complexe » (1985c, p. 280) qu’est le lexique d’une langue à travers les usages multiples de ses nombreux utilisateurs.

Elle découle ensuite du fait qu’un dictionnaire est l’œuvre d’un auteur, assisté de rédacteurs. Que ces personnes travaillent ou non à partir d’un corpus, leur analyse du lexique employé par les locuteurs dans la réalité des échanges linguistiques est directement influencée par leur compétence personnelle, « compétence sociologique modulée par l’histoire individuelle à l’intérieur de l’histoire collective, par les attitudes personnelles à l’intérieur de modèles idéologiques et socioculturels » agissant au sein de la société (1983, p. 547).

Enfin, le public attribue au dictionnaire une fonction de guide du bon usage de la langue.

Comme le manuel, le dictionnaire —et pas seulement le dictionnaire— est voué au didactisme, c’est-à-dire à la « reproduction » socioculturelle d’un savoir, à la diffusion d’attitudes et de jugements acquis. [...] Alors mbne que ses auteurs peuvent n’avoir souci que de description objective, le dictionnaire a des destinataires, pour lesquels cette description —didactiquement transmise— est la norme, la vérité. Ceci donne une signification différente, toujours dans le sens normatif, au texte lexicographique (ibid., 1983, p. 366).

Tout dictionnaire est donc un objet social et commercial dont le succès dépend de l’interaction entre la politique normative et rédactionnelle de ses auteurs et les attentes du public acheteur. Au Québec, cette interaction est très délicate, parce que le français y assume une double fonction : une fonction identitaire —refléter la norme sociale de la langue et du lexique québécois; et une fonction d’appartenance à la langue et à la culture de langue française, en partage avec la France et tous les pays francophones ou francophiles. Le public s’attend à ce qu’un dictionnaire québécois guide son usage de la langue française en fonction de ces deux aspirations fondamentales. Le défi est de taille.

Ces quelques remarques évoquent bien le niveau, le sérieux et la qualité des communications et discussions lors des colloques.

Mais, il y a plus. Ces rencontres se tenaient le plus souvent à la campagne, souvent en automne dans le rougeoiement de la forêt québécoise, dans un lieu où chacun logeait, partageant repas et loisirs durant trois jours. Ce fut, pour nous tous, l’occasion de découvrir la simplicité, la disponibilité, la générosité, la bonne humeur et l’humour de Josette et d’Alain Rey. À l’admiration que nous avions déjà pour leurs travaux s’est ajouté le plaisir de les connaître et d’apprécier la grande qualité de leur humanité et de leur humanisme. Des amitiés se sont ainsi nouées au fil des rencontres.

Pour tout, nous voulons aujourd’hui les remercier, leur dire notre reconnaissance, le souvenir heureux que nous gardons d’eux et des moments vécus ensemble.

Merci, Josette, merci, Alain, pour ce que vous êtes.

Note

Annexe – Exposés lors de colloques ou articles dans des ouvrages collectifs

Alain Rey

1974

« Essai de définition du concept de néologie », dans L’aménagement de la néologie : actes du Colloque international de terminologie, Lévis, Québec, du 29 septembre au 2 octobre 1974, actes colligés par Henriette Dupuis, Office de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1975, 214 p.

1975

« Préalable à une définition de la terminologie », dans Essai de définition de la terminologie : actes du Colloque international de terminologie, Québec, Manoir du Lac Delage, du 5 au 8 octobre 1975, actes colligés par Henriette Dupuis, Régie de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1976, 209 p.

1976

« La normalisation linguistique dans la perspective des nouvelles dispositions législatives », dans Les implications linguistiques de l’intervention juridique de l’État dans le domaine de la langue : actes du Colloque international de sociolinguistique, Lac Delage, Québec, du 3 au 6 octobre 1976, actes colligés par Françoise Hudon, Office de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, 204 p.

1977

« Définition de la terminologie en tant que discipline linguistique autonome : état de la question », dans Actes du sixième Colloque international de terminologie, Pointe-au-Pic, Québec, du 2 au y octobre 1977, actes préparés par Rosita Harvey et Lise Lebel-Harou, en collaboration avec Rolande Poulin et autres, Office de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979, 753 p.

1982

«  Synonymie, néonymie et normalisation terminologique », dans Problèmes de la définition et de la synonymie en terminologie : actes du Colloque international de terminologie, Université Laval, Québec, 23-27 mai 1982, organisé par le GIRSTERM, Québec, GIRSTERM, 1983, 551 p.

1983

« Norme et dictionnaire (domaine du français) », dans La norme linguistique, textes colligés par Édith Bédard et Jacques Maurais, Québec, Conseil de la langue française, Paris, Le Robert, coll. « L’ordre des mots », 1983, 850 p.

1985a

« Les fonctions de la terminologie : du social au théorique », dans L’ère nouvelle de la terminologie : actes du sixième Colloque OLF-STQ de terminologie, Montréal du 27 au 29 novembre 1985, actes colligés par Jean-Claude Gaumont et autres, Office de la langue française et la Société des traducteurs du Québec, Montréal, Office de la langue française, 1988, 328 p.

1985b

« La variation linguistique dans l’espace et les dictionnaires », dans La lexicographie québécoise, bilan et perspectives, actes du colloque organisé par l’équipe du Trésor de la langue française au Québec et tenu à l’Université Laval les 11 et 12 avril 1985, publiés par L. Boisvert, C. Poirier et C. Verreault, Québec, Presses de l’Université Laval, 1986, 308 p.

1985c

« Dictionnaire et néologie », dans Actes du colloque Terminologie et technologies nouvelles, Québec, Office de la langue française, 1988, 383 p.

1994

« À la recherche de la norme : un dictionnaire québécois », dans Langues et Sociétés en contact, Mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil, sous la direction de Pierre Martel et de Jacques Maurais, vol. 8, Tübingen, Niemeyer, coll. « Canadiana Romanica », 1994, 582 p.

Josette Rey-Debove

1976

« L’emprunt lexical prohibé », dans Les implications linguistiques de l’intervention juridique de l’État dans le domaine de la langue : actes du Colloque international de sociolinguistique, Lac Delage, Québec, du 3 au 6 octobre 1976, actes colligés par Françoise Hudon, Office de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, 204 p.

1977

« Comportements des langues romanes face à l’emprunt anglo-saxon en terminologie », dans Actes du sixième Colloque international de terminologie, Pointe-au-Pic, Québec, du 2 au 7 octobre 1977, actes préparés par Rosita Harvey et Lise Lebel-Harou, en collab. avec Rolande Poulin et autres, Office de la langue française, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979, 753 p.

1991

« La francisation de l’emprunt. Application aux anglicismes », dans Actes du Colloque sur les anglicismes et leur traitement lexicographique : communications, discussions et synthèses, Magog, du 24 au 27 septembre 1991, actes colligés par Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière avec la collab. de Linda Pépin, Montréal, Office de la langue française, coll. « Études, recherches et documentation », 1994, 382 p.

1994

« Le lexique et l’image », dans Langues et Sociétés en contact, Mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil, sous la direction de Pierre Martel et de Jacques Maurais, vol. 8, Tübingen, Niemeyer, coll. « Canadiana Románica », 1994, 582 p.

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, « La contribution de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey à l’aménagement de la langue au Québec », Les dictionnaires Le Robert, genèse et évolution, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 263-279. [article]