Biographie

Jean-Claude Corbeil est né à Montréal en 1932. Il passe son enfance et sa jeunesse dans la paroisse Sainte-Claire de Tétreaultville, un quartier sis à l’extrême est de la ville de Montréal. Au primaire, il fréquente l’école paroissiale, entièrement laïque —ce qui est rare à l’époque— et dont il gardera un excellent souvenir. Au secondaire, il s’inscrit au cours classique à l’Externat classique Sainte-Croix, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, un cycle de huit années d’études qui mène à l’obtention du baccalauréat ès arts (en 1954), seul diplôme qui donne alors accès à l’université. Par la suite, il décroche un second baccalauréat en pédagogie de l’École normale Jacques-Cartier (1956).

Il commence sa carrière comme professeur de français et de latin à son alma mater, devenue depuis lors le Collège de Maisonneuve. Il y découvre à la fois les insuffisances de la grammaire traditionnelle pour expliquer les faits linguistiques et l’importance de l’École dans l’acquisition d’une langue de qualité par les enfants. Il approfondit ces questions en devenant professeur de didactique du français, langue maternelle, à l’école normale Ville-Marie. Tout en enseignant, il entreprend une maîtrise en linguistique de l’Université de Montréal (maîtrise en 1962; titre de son mémoire : L’influence du morphème final sur la détermination du genre en français parlé) et un doctorat à l’Université de Strasbourg (doctorat en 1966; titre de sa thèse : Essai sur les structures fondamentales du français moderne. Les arrangements des éléments fonctionnels dans la phrase française). Il quitte l’école normale en 1968 pour devenir professeur au Département de linguistique de l’Université de Montréal. Durant les mêmes années, il participe à la fondation et au démarrage de l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF) et de l’Association canadienne de linguistique appliquée (ACLA).

Comme professeur à l’Université de Montréal, il s’intéresse de très près à la sociolinguistique québécoise, sous ses deux aspects, qualité de la langue française au Québec par rapport à la France et aux autres pays de la francophonie, d’une part, et statut de la langue française au Québec et au Canada, d’autre part, deux axes de réflexion auxquels il est demeuré fidèle tout au long de sa carrière.

Cet intérêt pour la sociolinguistique l’amène, en 1971, à accepter la direction linguistique de l’Office de la langue française, poste qu’il occupera jusqu’en 1978. Pendant cette période, il se trouve mêlé avec son équipe aux travaux relatifs à la préparation de la Loi sur la langue officielle (du Québec), adoptée en 1974, et à la rédaction de la Charte de la langue française (du Québec), qui lui succède en 1977. Il formule également les principes fondamentaux de l’aménagement linguistique des situations de plurilinguisme. Avec ses collaborateurs immédiats, il constitue une théorie et une pratique de la terminologie systématique comparée, puisque la terminologie était devenue indispensable pour substituer la langue française à la langue anglaise alors dominante comme langue de travail, du commerce et des affaires et pour que la langue française rattrape son retard par rapport à la langue anglaise, surtout dans les vocabulaires de spécialité.

En qualité d’expert auprès de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), il prépare en 1978 un rapport sur les problèmes linguistiques de la francophonie.

En 1979 et 1980, il séjourne en Tunisie où il agit comme expert-conseil auprès de l’Institut Bourguiba des langues vivantes pour la mise en place d’un enseignement de la terminologie en vue de son application au développement de la langue arabe. Ce séjour lui permet d’observer les relations entre l’arabe et le français et de vérifier le bien-fondé de ses idées en aménagement linguistique.

À cause de son expérience en aménagement linguistique, le gouvernement de la généralité de Catalogne le consulte pour préparer sa politique linguistique en faveur d’un usage plus intensif de la langue catalane comme langue officielle de la Catalogne. Pendant des années, il maintient d’étroites relations avec les responsables de la politique linguistique catalane. C’est à cette époque que Teresa Cabré s’initie à la terminologie lors d’un stage d’observation à l’Office de la langue française. Elle publie par la suite, en catalan, un excellent manuel de terminologie, traduit en français par Monique Cormier et John Humbley sous le titre La terminologie. Théorie, méthode et applications (Armand Colin et Presses de l’Université d’Ottawa, 1998).

De 1980 à 1988, il assume le poste de Secrétaire général du Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée (CIRELFA), organisme constitué par l’ACCT à la suite du rapport mentionné plus haut. Cette fonction le met en étroite relation avec tous les pays où on fait usage de la langue française, notamment les pays africains et les pays créolophones.

De 1988 à 1991, il agit comme conseiller auprès du Président du Conseil de la langue française du Québec.

Il demeure fidèle aux plaisirs de la terminologie en publiant, chez Québec Amérique, en collaboration avec Ariane Archambault, le Dictionnaire thématique visuel, devenu par la suite le Visuel. Ce dictionnaire a connu un succès mondial : il est maintenant publié dans plus de vingt-cinq langues, en majorité européennes, mais aussi en arabe, en japonais et en chinois. Il a également dirigé la publication, chez le même éditeur, de la première édition du Multidictionnaire des difficultés de la langue française de Marie-Éva de Villers.

Par la suite, quatre pays africains (le Mali, le Sénégal, le Burkina Fasso et la Guinée Conakry) proposent à Québec Amérique de créer une version africaine du Visuel, destinée à l’enseignement primaire comme matériel pédagogique d’appoint. Québec Amérique accepte en principe. Avec le soutien d’une ONG canadienne (l’Organisation pour l’éducation au service du développement, OCED) et le financement de l’ACDI, ce projet se réalise sous la coordination conjointe de l’auteur et d’Élise Tousignant de l’OCED. Une équipe multidisciplinaire africaine (psychopédagogue, linguiste, illustrateur) est constituée dans chaque pays pour déterminer le contenu de l’ouvrage et le réaliser. L’ouvrage a paru en octobre 1995, imprimé en Afrique en version noir et blanc.

En 1995, il revient à la politique linguistique québécoise à l’invitation de la ministre Louise Beaudoin. Il participe, comme rédacteur, à la préparation et à la publication d’un nouvel énoncé de politique présenté par le Gouvernement du Québec en vue de renouveler la Charte de la langue française en l’adaptant à la situation du Québec 25 ans après l’adoption de la Charte.

Il devient en 1997 sous-ministre responsable de l’application de la politique linguistique jusqu’en juin 2000. Il est alors nommé membre et secrétaire de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec (rapport en 2001).

Ce cheminement de carrière explique que trois aspects de la langue l’ont surtout préoccupé tout au long de sa carrière : la variation linguistique d’une langue et la légitimité d’une langue standard endogène, d’où son intérêt pour la lexicologie québécoise; la coexistence et l’aménagement des langues en situation de bilinguisme ou de plurilinguisme; enfin, la compréhension de la manière dont les comportements linguistiques des individus sont modelés par la société. Son activité professionnelle l’a amené à effectuer de nombreuses missions dans les pays de l’espace francophone, ce qui lui a permis d’observer les problèmes auxquels fait face le français, soit comme langue maternelle, soit dans sa relation avec d’autres langues, l’anglais au Canada, l’arabe en Afrique du Nord, les langues africaines en Afrique noire et les langues créoles dans les Antilles et l’océan Indien.

En 2007, il a fait la synthèse de son expérience québécoise en matière d’aménagement linguistique du Québec sous la forme d’un manuel de référence, sous le titre L’Embarras des langues. Origine, principes et évolution de la politique linguistique québécoise (Québec Amérique). En 2011, il a accordé une entrevue à Hélène Cajolet-Laganière pour parler de son parcours et des principales idées qui l’ont guidé dans sa réflexion sur la situation linguistique du Québec.

Jean-Claude Corbeil est décédé le 25 janvier 2022.