Le français, langue commune du Québec : un objectif à réaffirmer, un défi encore à relever

Jean-Claude Corbeil
Linguiste

On peut dire que, depuis toujours, l’objectif de maintenir le français comme langue commune du Québec, en opposition à l’anglais langue du reste du Canada et des États-Unis, est poursuivi avec constance par la majorité des Québécois et demeure toujours le pivot de la définition du Québec comme peuple et comme société ouverte à des minorités d’autres langues.

À partir du début des années soixante, au moment où démarre la Révolution tranquille, l’opinion publique s’empare du dossier de la langue française au Québec et au Canada. Les citoyens de langue française formulent avec vigueur, et de plus en plus clairement, leurs revendications en faveur du français, réclament des mesures législatives, forcent les partis politiques à définir leur programme à l’égard du français et à le réaliser sous forme de mesures législatives une fois au pouvoir.

Au Québec, l’aventure de la politique linguistique dure depuis plus de 25 ans. Avec le recul, on peut y distinguer deux phases : une phase d’en-thousiasme durant laquelle se précise le statut du français et s’agrandit son espace d’utilisation, suivie d’une phase de compromis durant laquelle les modifications à la loi réduisent l’obligation de faire usage du français et affaiblissent d’autant la nécessité de le connaître et de l’utiliser.

La première est un crescendo de très courte durée, cristallisé en trois lois successives : 20 novembre 1969, la loi 63, Loi pour promouvoir la langue française au Québec; le 31 juillet 1974, la loi 22, Loi sur la langue officielle (du Québec); le 26 août 1977, la loi 101, Charte de la langue française, qui est accueillie par la majorité francophone comme l’expression la plus achevée de ses volontés en matière d’usage du français et des autres langues sur le territoire du Québec et la garantie juridique qu’il en sera ainsi dorénavant. Pour elle, la question linguistique est réglée à sa satisfaction.

La seconde est une longue saga juridique qui découle de la contes-tation devant les tribunaux de certaines dispositions de la Charte de la langue française par des citoyens de langue anglaise, plus ou moins orchestrée par le groupe de pression anglophone Alliance Québec (financée en grande partie par le gouvernement fédéral) et soutenue par les médias anglophones. La base juridique des plaintes est très souvent la Charte canadienne des droits et libertés, dont certaines dispositions avaient été délibéremment rédigées pour contrer la Charte de la langue française. Elle entraîne, pour le gouvernement libéral de Robert Bourassa, la recherche ardue de compromis législatifs qui respecteraient les jugements des tribunaux, satisferaient les opposants anglophones tout en ne réveillant pas le militantisme des francophones par des atteintes trop évidentes aux objectifs fondamentaux de la Charte de la langue. Une série de lois sont adoptées par le gouvernement Bourassa pour modifier la Charte, la dernière étant la loi 86, Loi modifiant la Charte de la langue française, toujours en vigueur actuellement.

En identifiant les articles de la Charte de 1977 qui ont été successi-vement modifiés par ces lois et en observant le sens des modifications, on peut dégager les tendances de la politique linguistique sous le gouvernement Bourassa et, en conséquence, la direction qu’a prise l’évolution du statut et de l’usage du français au Québec : retour de facto au bilinguisme institutionnel pour la publication des lois et règlements (les deux versions sont officielles), dans l’affichage public, dans les communications de l’État avec les citoyens, les entreprises, les personnes morales, dans les services sociaux et de santé; adou-cissement des critères d’accès à l’école anglaise; adoucissement, abandon en vérité, de l’exigence de connaître le français pour exercer les professions sous l’autorité de l’Office, notamment les professions médicales; restriction aux droits des francophones à des services en français à moins d’en faire la demande préalable. La Charte d’aujourd’hui ressemble de plus en plus à la loi 22!

Conséquences de cette période de procès et de compromis : la langue française est de moins en moins la langue commune des citoyens du Québec parce qu’elle est de moins en moins nécessaire pour qui veut vivre ici en anglais; personne n’a aujourd’hui une idée exacte des règles linguistiques à suivre; les francophones vivent encore dans l’illusion que la Charte de 1977 est toujours en vigueur alors qu’elle a été profondément modifiée, au point que son contenu réel a quasi vidé l’article 1 Le français est la langue officielle du Québec de sa substance, puisque même l’État est bilingue et que l’usage de l’anglais est largement autorisé par la loi actuelle; les opposants anglophones ne sont toujours pas satisfaits, puisqu’ils contestent la légitimité même d’une politique linguistique; une grande partie de la majorité francophone ne comprend plus trop pourquoi il faut une politique linguistique et ressent un certain malaise à réclamer des mesures contre l’anglais du reste du continent, omniprésent dans la vie quotidienne.

Le Gouvernement du Québec a donc raison d’entreprendre le bilan de la situation linguistique du Québec. L’occasion est ainsi donnée à tous les citoyens du Québec de prendre conscience de la précarité de presque toutes les langues face à l’anglais, de réfléchir aux objectifs de la société québécoise en matière de langue et de culture, de redéfinir des consensus sur ces deux points. Il sera ensuite possible de redéfinir, en toute conscience, une politique linguistique qui puisse garantir l’avenir de la langue française au Québec en tenant compte des contraintes qui découlent du monde tel qu’il est.

Les raisons qui ont naguère amené le Québec, et les gouvernements successifs, à prendre des mesures d’aménagement linguistique sont, en substance, encore valables aujourd’hui. Elles sont même encore plus impératives. Il vaut la peine d’y revenir, ne serait-ce que pour donner de la profondeur aux discussions qui s’amorcent. Elles gravitent autour des éléments suivants : la composition démolinguistique de la population du Québec et son évolution accélérée, la concurrence entre le français et l’anglais, la volonté de maintenir vivantes les langues et cultures minoritaires, la protection du consommateur et, enfin le visage français du Québec.

Dans l’esprit de ses concepteurs, la politique linguistique du Québec ne s’est jamais réduite au texte d’une loi, encore moins à une succession de dispositions sans relation entre elles.

D’autres mesures s’y ajoutent qui forment le projet collectif du Québec en matière de langue, dans l’ensemble du projet de société.

Nous examinerons un à un les arguments principaux qui fondent, aujourd’hui plus qu’hier, la nécessité d’un plan d’aménagement linguistique du Québec. En dernier lieu, nous situerons la législation linguistique comme l’un des éléments d’un dispositif beaucoup plus global, dont on a tendance à oublier les interrelations.

Composition démolinguistique de la population québécoise

Dans un ouvrage récent[1], Fernand Dumont propose de distinguer la nation de l’état, pour sortir du concept d’état-nation si décrié dans la pensée politique contemporaine.

La nation soude un groupe humain dans le présent d’une culture qui assume les éléments du passé jugés encore valables; cette solidarité est un choix personnel, qui transcende et dépasse les motifs élémentaires d’appartenance comme l’origine des ancêtres ou la langue d’origine. En ce sens, les Québécois d’aujourd’hui ne sont pas tous les descendants des colons français : des arrivants d’autres origines se sont joints au noyau initial, insérant des éléments de leur culture dans la culture française de leur époque et perpétuant des patronymes nouveaux dans la communauté. Ce mouvement d’intégration continue aujourd’hui. La notion de Québécois de souche est une absurdité.

L’état est une communauté politique qui réunit dans une même société civile, ici démocratique, des citoyens d’origine nationale différente. Son devoir est de garantir l’égalité des droits et libertés de tous les citoyens, de conci-lier les droits de la majorité et des minorités, de définir les règles de la vie commune dans tous les domaines où il y a désaccord entre les groupes de ci-toyens sur la manière de faire.

Le Québec est un état où la très grande partie de la population - la majorité - est de langue et de culture françaises. Cette majorité veut toujours vivre en français sur le territoire du Québec et elle demeure déterminée à assurer le maintien et l’épanouissement de la langue française malgré les pressions de l’environnement nord-américain. L’appui constant de la majorité à la Charte de la langue française en est la preuve la plus évidente.

L’état québécois est composé, non pas d’une majorité francophone et d’une minorité anglophone, mais bien d’une majorité francophone et de plusieurs minorités de langues différentes. En conséquence, et à la demande des groupes ethnolinguistiques, toutes les minorités doivent être traitées sur un pied d’égalité dans leur relation avec la langue française, notamment quand il s’agit du choix de la langue d’enseignement. Cependant, cette intention d’égalité est contrecarrée, en partie, par la clause Canada, suite à une décision de la Cour suprême.

L’évolution de la composition démolinguistique de la population québécoise s’est accélérée depuis le milieu des années soixante-dix.

Le volume annuel d’immigration a augmenté. Ces immigrants sont, en définitive, recrutés via les services des ambassades du Canada. Dans leur esprit, il est clair qu’ils viennent au Canada. Peut-être savent-ils que c’est un pays bilingue, mais sans trop savoir comment ce bilinguisme se réalise dans la vie quotidienne d’un endroit à l’autre du pays. La majorité des immigrants qui viennent au Québec s’installent à Montréal et dans la banlieue proche. Les origines des immigrants sont très diverses et très différentes de l’immigration précédente. À leur arrivée, ils font face à un choix d’allégeance entre deux cultures toutes deux majoritaires, l’une de langue française au Québec, l’autre de langue anglaise dans le reste du Canada. Beaucoup d’immigrants ne savent pas le français, ni parfois l’anglais, et ils se trouvent très souvent devant la nécessité d’apprendre rapidement deux langues étrangères, d’où la tentation de choisir d’abord la langue dominante sur le continent nord-américain, ce qui confirme leur allégeance à la communauté anglophone québécoise. D’autant que, pour des raisons historiques, la minorité anglaise conserve des institutions qui lui sont propres (un réseau scolaire et hospitalier). L’ambiguïté existe toujours sur leur fonction : sont-elles des institutions au service de la minorité anglophone ou sont-elles un pôle d’attraction pour les allophones, contrecarrant le projet d’intégration des immigrants à la vie quotidienne de la majorité.

Le dispositif d’intégration linguistique et culturelle des immigrants est rudimentaire et peu efficace. Il n’arrive pas à suivre le rythme des arrivées. De plus, l’essentiel du dispositif vise à faciliter l’intégration des immigrants par la connaissance du français. Il s’agit fondamentalement d’une intégration de fonctionnement : l’immigrant récent peut alors gagner sa vie en français, vaquer aux diverses occupations de la vie en société, utiliser les services et ressources à sa disposition; il devient autonome et indépendant d’un groupe de soutien ou de refuge. Mais, au-delà de cette intégration minimaliste, il a toujours le choix de s’intégrer à l’une ou à l’autre des communautés linguistiques. Ce choix demeure personnel et nous constatons qu’un petit nombre seulement des immigrants choisissent la communauté et la culture de langue française au point de participer à la vie collective de la majorité et de concevoir leur avenir et celui de leurs enfants comme membres de la société québécoise.

L’ensemble de ces données a influencé et continue d’influencer la conception de l’aménagement linguistique du Québec.

Le français, langue majoritaire, doit devenir langue commune de tous les Québécois, quelles que soient leurs langues d’origine, dans tous les sec-teurs et dans toutes les communications de la vie collective publique, d’où le rejet, pour le Québec, du bilinguisme institutionnel à la manière de la politique des langues officielles du Canada : objectif qui nous semble toujours valable. Mais il est aujourd’hui compromis par les dispositions de la Charte, version loi 86, qui diminuent grandement le statut du français comme langue de l’administration publique.

En même temps et en échange de leur participation à la langue commune, l’aménagement linguistique du Québec a prévu et doit continuer de prévoir des zones d’utilisation des langues minoritaires dans l’intention d’en maintenir la connaissance et la vitalité dans toutes les activités qui renvoient à leur propre identité culturelle. (Voir ci-après.)

Les dispositions de la Charte relatives à l’accès à l’école de langue anglaise sont de la plus haute importance stratégique et aucune concession ne doit être faite au lobby des écoles anglaises. Il suffit déjà que la section de langue française de la commision des écoles protestantes du Grand Montréal (qui re-groupe des écoles en majorité de langue anglaise) s’accroisse régulièrement, en absorbant une bonne partie des immigrants, sans qu’on puisse être assuré que ce soit là un moyen efficace de les intégrer à la majorité et de les initier à la connaissance de la culture et de l’histoire du Québec. Ces écoles favorisent au contraire l’allégeance à la communauté anglophone et réduit la langue française à sa seule fonction de communication, coupée de sa relation avec la culture.

Se trouvent mises en cause ici la politique canadienne d’immigration (qui fixe le nombre des immigrants) et la capacité réelle du Québec à mettre en place une politique d’immigration qui tienne compte de la langue d’accueil dans la sélection des immigrants. La politique québécoise d’immigration et d’intégration linguistique et culturelle des immigrants est, dans les circonstances actuelles, un volet essentiel du plan d’aménagement linguistique du Québec. Il est devenu nécessaire de bien examiner les modalités et conséquences de cette politique en regard des objectifs initiaux de la Charte de la langue française. En fait, si on en juge par les tendances des années récentes, le nœud du problème consiste à concilier la préoccupation de maintenir le poids démographique du Québec dans l’ensemble canadien (et donc un bassin de consommateurs pour l’économie) avec l’intention de la Charte de faire du français la langue commune de la population québécoise. En somme, il est légitime de se demander si le gouvernement du Canada et les gouvernements successifs du Québec n’appliquent pas, en l’ayant oublié peut-être, la principale recommandation du rapport Durham : déstabiliser la majorité francophone par l’immigration. Chose certaine, c’est le résultat qui est atteint et pour le reste du Canada, les Québécois de langue française sont une minorité parmi d’autres et le Québec une province comme les autres et non une société à part entière. Sur ces deux points, les opinions sont irréductibles.

Concurrence entre le français et l’anglais

La concurrence entre le français et l’anglais sur le territoire du Québec existe toujours. Les tendances lourdes jouent toutes en faveur de l’anglais.

La tendance actuelle est de revenir au bilinguisme systématique, par-fois même à l’unilinguisme anglais pour des pseudo-motifs d’efficacité et de réalisme. Elle s’est même incrite dans les modifications à la Charte en étendant les modalités d’exception prévues pour les sièges sociaux et les laboratoires à d’autres circonstances. Ce retour au passé n’est pas nécessaire. La stratégie du bi-linguisme fonctionnel, choisie lors de la conception et de la rédaction de la Charte, est toujours parfaitement adaptée à l’évolution actuelle des marchés, même si elle augmente l’usage de l’anglais et même si elle confirme le lien entre la connaissance de l’anglais et la performance professionnelle. Ce n’est pas tant le volume d’usage de l’anglais qui est ici en cause que le mythe qui l’entoure encore aujourd’hui d’être LA langue, celle qui compte, celle qui assure le succès personnel, le français demeurant dans l’esprit de plusieurs une langue secondaire, régionale, familiale. Sur ce point précis, la Charte n’a pas réussi à modifier ces deux perceptions, qui sont tout de même l’essentiel, puisque l’usage généralisé de l’anglais, pour les mêmes raisons, dans des pays comme l’Allemagne, la Hollande, le Danemark, l’Italie, l’Espagne, ne remet pas en cause l’importance et l’usage de la langue nationale. D’où vient ce sentiment d’infériorité des Français et des Québécois de langue française envers la langue anglaise? [2]

L’aménagement linguistique est, dans les circonstances, le seul moyen de contrecarrer ces tendances lourdes au profit du français, qui est toujours objectivement menacé dans sa survie et son intégrité, et la seule manière d’assurer un équilibre acceptable pour tous, et surtout pour la majorité, entre l’usage du français comme langue identitaire commune et l’usage stratégique de l’anglais dans les communications externes.

La connaissance de l’anglais chez les Québécois, c’est-à-dire la géné-ralisation du bilinguisme individuel, liée au renforcement du statut du français comme langue commune et langue de travail, nous semble toujours la seule réponse à la question. Ici se situe la responsabilité du système d’enseignement dans une conception globale de l’aménagement linguistique : enseignement efficace du français et de l’anglais comme langues secondes, d’autant qu’avec les modifications à la Charte, cet enseignement dispense les professionnels des tests linguistiques avec, comme conséquence, un recul du français dans l’exercice des professions, surtout médicales; enseignement de l’informatique en français (cet enseignement se fait très largement en anglais aujourd’hui); formation professionnelle première en français, suivie de la formation en français par l’industrie, en application du programme de francisation.

Maintien des langues et cultures minoritaires

L’aménagement linguistique du Québec intègre dans ses objectifs le maintien et l’épanouissement des langues et cultures minoritaires.

Il y a donc des dispositions dans la Charte qui autorisent l’usage des langues minoritaires (avec ou sans le français selon le cas) dans de nombreuses situations : activités des organisations culturelles et religieuses, activités com-merciales à teneur culturelle (restaurants, librairies, journaux et revues, com-merces de spécialités ethniques, etc), sur les ondes de la radio et de la télévision. Ces dispositions ne semblent pas poser problème. On peut cependant regretter que ce respect des langues minoritaires dans la Charte n’ait pas été plus souvent cité et utilisé pour illustrer l’ouverture de la société québécoise à l’égard des groupes ethnolinguistiques et contrer les accusations de racisme qu’on porte souvent contre elle.

Au ministère de l’Éducation, il existe ou existait un programme d’enseignement des langues d’origine (PELO), qui faisait partie du dispositif prévu. Il serait intéressant de savoir ce qu’il en est advenu.

Protection du consommateur

Le souci de la protection du consommateur, de langue française et des autres langues, a inspiré la plus grande partie du chapitre VII de la Charte qui traite de la langue du commerce et des affaires. L’objectif est d’assurer la présence du français à part égale sans exclure l’usage d’autres langues, puisque tous les consommateurs doivent jouir de la même protection.

Personne n’a contesté ces dispositions. Mais le problème demeure de les faire respecter. On voit de plus en plus de produits ou de textes qui ne les respectent pas.

L’article 54 sur les jouets et jeux est systématiquement violé depuis l’arrivée des jouets et jeux électroniques. Même en s’alliant à la France, le gou-vernement actuel s’est heurté à une fin de non-recevoir de la part des fabricants. Il faudrait vérifier si les Québécois et les Français sont prêts à se passer de ces jeux pendant quelque temps dans l’hypothèse où les compagnies seraient poursuivies et où elles décideraient de ne plus vendre leurs produits au Québec et en France.

Visage français du Québec

Il s’agit ici du fameux dossier de l’affichage public, article 58 de la Charte.

C’est encore le point le plus sensible de la Charte, avec l’accès à l’école anglaise. Ce qui est fondamentalement en cause, c’est le type d’image, de message, que renvoie l’affichage public à tous ceux qui le regardent chaque jour : s’il est unilingue, il confirme le fait que la langue commune de ce pays est le français; s’il est bilingue français-anglais, il tend à confirmer un bilinguisme de fait de la société québécoise; s’il est trilingue, il met de l’avant une langue minoritaire, en accord avec le maintien des langues minoritaires et laisse perplexe sur le statut des deux autres langues, le français et l’anglais.

Tout a été dit et écrit sur cette question, depuis le jugement de la Cour suprême, qu’on ne peut malheureusement pas contester. Il revient au gouvernement de décider d’une ligne de conduite à cet égard.

Politique, aménagement et législation linguistiques

Il ne faut pas confondre ces notions, très proches l’une de l’autre dans le vocabulaire courant.

Par aménagement linguistique, on entend généralement l’ensemble des mesures qu’arrête un État pour régler l’usage des langues sur son territoire. En ce sens, "tout projet d’aménagement linguistique est d’abord et avant tout un projet d’ordre politique, c’est-à-dire qu’il est relatif à l’organisation globale de la vie sociale et donc à la manière dont la société définit son avenir au moyen des institutions politiques dont elle dispose"[3].

La manière dont on conçoit et réalise l’aménagement linguistique dépend directement de la conception que l’on se fait de la langue. Elle met es-sentiellement en cause deux fonctions de la langue, la fonction de communication (la plus évidente et la plus facilement admise, parce que sans danger) et la fonction d’intégration sociale (la plus politiquement délicate, la plus dangereuse à manipuler). Du strict point de vue de la communication, l’aménagement linguistique se concrétise en dispositions qui touchent à l’organisation de l’usage des langues et en choix des moyens techniques nécessaires à leur mise en place. Du point de vue de l’intégration sociale, l’aménagement linguistique se fonde sur un projet de société, sur une conception des rapports entre identité culturelle de la société globale et respect de l’identité culturelle des groupes ethnolinguistiques minoritaires. L’essentiel de l’aménagement linguistique est alors l’affirmation d’une langue commune et l’identification des domaines d’usage des autres langues, les dispositions techniques n’étant alors que les moyens d’atteindre ces deux objectifs fondamentaux.

Cette démarche est très soucieuse de paix sociale et d’efficacité admi-nistrative et économique.

Enfin, l’aménagement linguistique d’un état ne prend pas nécessairement la forme d’un texte de loi spécifique. Il peut tout aussi bien se formuler en dispositions éparses dans un grand nombre de secteurs de l’administration publique. Et même si une loi définit une politique linguistique, elle ne touche jamais la totalité des dispositions d’ordre linguistique qui ont été prises dans l’ensemble de l’appareil administratif. L’aménagement linguistique pose partout et toujours un problème de cohérence de l’ensemble des mesures qui touchent à l’usage de la langue majoritaire et des langues minoritaires.

Il y a législation linguistique quand l’état choisit d’intervenir en adoptant une loi et des règlements pour préciser les rapports entre les langues en présence et leurs domaines d’usage respectifs.

En général, la loi définit le statut des langues (y compris par l’absten-tion), précise leur emploi dans les domaines où il y a ambiguïté ou affrontement, énonce les mesures qui sont prises pour favoriser la prédominance de la langue commune et, au besoin, pour garantir l’usage des langues minoritaires là où il est autorisé, dans le but ultime de guider la conduite des citoyens, personnes physiques ou personnes morales. Mais la loi peut aussi se limiter à un seul domaine, par exemple la protection des consommateurs.

Chose certaine, aucune loi n’est, à ce jour, globale au point d’énu-mérer la totalité des mesures de nature linguistique ou propres à influencer le destin de l’une ou l’autre langue. Il se pose donc, ici aussi, un problème de co-hérence entre la législation linguistique proprement dite et les autres dispositions qui touchent à la langue, notamment en matière d’éducation, d’immigration, de communication, de culture et même de politique familiale.

L’ensemble des mesures prises par un état en matière de langue dans tous les secteurs de la vie collective constitue la politique linguistique de cet état, qu’on utilise ou non ce terme, qu’il y ait ou non une législation spécifique.

Le problème fondamental est ici, nous le voyons, la cohérence des dispositions entre elles. Au moment de la définition et de l’adoption de la Charte de la langue française en 1977, cette cohérence était assurée par un ministère d’état qui voyait à ce que tous les gestes du gouvernement soient compatibles avec les objectifs de la Charte. Depuis lors, chaque ministre (et donc chaque ministère) est retourné à ses affaires et à ses préoccupations, sans toujours se soucier de la législation linguistique. En conséquence, les morceaux de la politique linguistique du Québec ne sont plus cohérents aujourd’hui.

Le moment est venu de revoir la politique linguistique du Québec, et non pas seulement la législation linguistique, le texte actuel de la Charte. Moment de réaffirmer un projet de société sur la base du français, langue de la majorité et langue commune de tous les Québécois. Moment de revoir l’ensemble de toutes les dispositions du gouvernement, qui affectent le statut, l’usage et la connaissance du français dans l’esprit de ce projet de société. Moment de redonner son plein sens à l’affirmation du français comme langue officielle unique du Québec. Moment de mettre fin à l’esprit de marchandage qui tient lieu de politique et de stratégie dans les relations de la majorité avec les minorités.

Un grand chantier à reprendre à la base.

Notes

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, « Le français, langue commune du Québec : un objectif à réaffirmer, un défi encore à relever », Terminogramme, no 79, avril 1996. [article]