Table ronde sur les théories linguistiques et leurs domaines d’application – Aménagement linguistique

Jean-Claude Corbeil
Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée

L’aménagement linguistique se situe dans le domaine de l’application. Quand il parle de sa spécialité, M. Corbeil préfère cette appellation à l’emploi du calque américain « language planning », planification linguistique. Cette dernière expression a en effet des connotations péjoratives pour les gens à qui elle est destinée. Cette préférence a aussi pour avantage de permettre de distinguer entre aménagement linguistique et politique linguistique (d’un État).

Afin de pallier les lacunes terminologiques de l’aménagement linguistique, on a emprunté à la linguistique. C’est de cela que M. Corbeil s’est donné pour but de rendre compte dans son exposé. On distingue d’abord aménagement du statut de la langue et aménagement de la langue elle-même. Au chapitre du statut de la langue, on différencie communication institutionnalisée et communication individualisée. L’aménagement linguistique ne peut porter que sur la communication institutionnalisée. Le second emprunt à la linguistique, c’est l’analyse des fonctions de la langue avec pour modèle celui de Jakobson, lequel est basé sur les théories de la communication. M. Corbeil y a ajouté une fonction dite intégrative pour rendre compte de la fonction d’appartenance à une communauté linguistique que remplit la langue. Le troisième élément, c’est l’analyse des faits de concurrence linguistique et ceci entre les variantes d’une même langue et entre différentes langues en présence sur le même territoire. À ce sujet, on peut mentionner les notions de marché linguistique, les théories du bilinguisme et du multilinguisme (institutionnalisé ou fonctionnel). On parle également de la problématique de la norme en tant que processus de valorisation d’une variante par rapport aux autres. Cela fait intervenir la régulation linguistique, c’est-à-dire la façon dont les individus modèlent leur comportement linguistique par rapport aux variantes. On est donc très intéressé par les travaux portant sur les attitudes des locuteurs puisqu’elles sont déterminantes pour faire des choix. Ainsi, du côté du statut de la langue, des travaux sont en cours, mais il faut entre 20 et 25 ans avant de pouvoir analyser des résultats.

Pour ce qui est de l’aménagement de la langue elle-même, il y a d’abord le versant de la terminologie. La théorie de cette discipline a été élaborée à partir de la linguistique, notamment pour la théorie du signe linguistique, celle du syntagme et aussi pour la base morphologique nécessaire à la néologie. Les méthodes de travail en terminologie viennent de la lexicographie, de la lexicologie et de la dialectologie. La terminologie, de par son besoin de rigueur, est aussi concernée par la normalisation : il faut choisir entre les synonymes.

Le dernier domaine enfin, c’est celui de la standardisation linguistique. Notre langue, qui est standardisée, n’a plus ce problème, mais les langues de certains pays d’Afrique doivent aujourd’hui être standardisées au niveau de l’orthographe, de la prononciation et de la grammaire. Tout ceci a des répercussions sur l’enseignement de ces langues. Cette standardisation devrait reposer sur la description linguistique, mais d’autres critères, humains ceux-là (comme la volonté du chef d’État), viennent perturber les choix.

Abstract (anglais)

Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée

Language planning is a kind of application. In speaking of his specialization, Mr. Corbeil prefers the term “aménagement linguistique” to the American calque “planification linguistique”. This latter term has in fact pejorative connotations for the people to whom it applies. This preference also has the advantage of distinguishing between language planning and language policies (of a government).

In order to compensate for the terminological gaps in language planning, people have borrowed from linguistics. The purpose of Mr. Corbeil’s presentation is to account for this phenomenon. A distinction is first made between planning for the status of a language, and planning for the language itself. Concerning the status of a language, institutional communications are quite different from individual communications. Language planning can only deal with institutional communications. The second contribution from linguistics is in the analysis of language functions, as in the model of Jakobson, based on theories of communication. Mr. Corbeil adds a function which he calls integrative, in order to account for the function of belonging to a language community, which is fulfilled by language. The third element is the analysis of the facts of linguistic competition, between varieties of the same language and between different languages present in the same territory. Here, one may mention notions of the linguistic marketplace and theories of bilingualism and multilingualism (institutional or functional). There is also the problem of language standards, the process of awarding greater prestige to one language variety rather than to others. This brings in linguistic regulation, that is the manner in which individuals modify their language behaviour with respect to these varieties. For this reason, work done on speakers’ attitudes is important, because these attitudes determine what choices are to be made. Thus on the question of language status work is in progress, but we will need twenty to twenty-five years before we can analyze the results.

As far as planning of the language itself is concerned, there is first of all the area of terminology. Theory in this discipline has been developed from linguistics, especially from the theory of the linguistic sign, theory of syntax, and the morphological basis which underlies neology. The methodology of terminology comes from lexicology, lexicography and dialectology. Because of its need for preciseness, it is also concerned with normalization : one must choose among synonyms.

The last problem is that of standardization. French, which is standardized, no longer has this problem. But the languages of some African countries today must be standardized, in their orthographies, pronunciation and grammar. All this has repercussions on the teaching of these languages. Standardization should be based on linguistic description, but other criteria—human criteria (such as the desires of the head of state)—may sometimes disturb these choices.

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, « Application des théories linguistique dans le domaine de l’aménagement linguistique [table ronde] », Bulletin de l’ACLA, vol. 7, no 2, automne 1985, p. 197-198. [Actes du 16e Colloque annuel tenu à l’Université de Concordia du 30 mai au 1er juin 1985] [article]