Éléments d’une théorie de l’aménagement linguistique

Jean-Claude Corbeil
Directeur du service de linguistique de l’Office de la langue française

Résumé

Partant des problèmes de l’aire linguistique francophone du Canada, l’auteur se demande si le développement d’une langue et de son usage restent soumis aux seules influences sociologiques et économiques prévalant dans la région, ou si, au contraire, un développement global harmonieux dans un espace culturel plus large doit être recherché consciemment.

Toutes les productions écrites (des gros titres à la littérature de qualité), la radio et la télévision exercent une influence multiple sur les divers groupes sociologiques et leurs usages linguistiques. Faut-il cependant laisser le développement d’une langue s’autoréguler lui-même et demeurer sujet aux influences mentionnées ci-dessus —et ainsi adhérer à des principes semblables à ceux du libéralisme économique—, ou doit-on au contraire intervenir vigoureusement pour favoriser la préservation de l’unité et de l’esprit de la langue —et ainsi prendre en compte la diversité culturelle, propre à chaque zone linguistique de la francophonie?

Jean-Claude Corbeil fournit une étude exhaustive et répond à cette question non négligeable.

Introduction

La situation linguistique du Québec est l’occasion, depuis longtemps, de discussions sans cesse renaissantes dont les thèmes ne se renouvellent guère : la nature du français que nous parlons, l’anglicisation, les canadianismes, le français populaire québécois, les rapports entre le français du Québec et celui de France, en fait, plus précisément, celui de Paris. Ces discussions se caractérisent beaucoup plus par leur charge émotive que par la rigueur scientifique de leur contenu. D’où, peut-être, la raison de l’absence notable des linguistes dans ce débat.

Un thème revient constamment : il faut modifier la situation. Les uns mettent l’accent sur la qualité de la langue et proclament la nécessité de corriger et d’améliorer le français parlé et écrit au Québec. Les autres, sensibles surtout au fait que l’état du français au Québec est la résultante des forces économiques en présence, réclament la francophonisation du monde du travail. Le choix des moyens pour atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs est, à son tour, un terrain de discussions sans fin.

Une autre ligne mélodique est apparue récemment, qui prend constamment de l’ampleur, au point parfois de couvrir toutes les autres. On pourrait la formuler très succinctement de la manière suivante : en matière de langue, il faut suivre l’usage. Les plus brutaux, ou les plus francs, ou les plus partisans de la culture québécoise, affirment : nous parlons québécois, nous n’avons pas à nous aligner sur le français de Paris. Cette ligne mélodique est celle d’un groupe de linguistes, de quelques sociologues, surtout celle des écrivains, des chansonniers. D’où affrontement avec ceux qui veulent modifier la situation. D’où sujet de discussion : qu’est-ce que l’usage, qu’est-ce que le québécois?

Le gouvernement du Québec a créé, en 1961, un Office de la langue française. Dès ce moment, et depuis lors, cet office est sans cesse balloté par les vents, les vagues, les courants de la question linguistique québécoise. Quoi qu’il fasse, l’Office réjouit les uns et heurte les autres, la plupart du temps sans savoir pourquoi.

Les notes qui suivent s’inspirent du besoin de rendre plus rationnel le débat, tentent d’y mettre un certain ordre, enfin proposent la constitution d’une nouvelle discipline scientifique pluridisciplinaire : l’aménagement linguistique, dont l’objet serait le développement harmonieux d’une langue au sein d’une culture.

I. Problématique

Nous nous proposons d’énumérer les termes de la question. Nous emprunterons beaucoup à la sociologie et à l’anthropologie culturelle, tout particulièrement à Linton[1], sans nous préoccuper de pousser très loin l’analyse de chacun des concepts-outils utilisés. L’essentiel, pour nous, est d’affirmer que l’aménagement linguistique repose entièrement sur certains phénomènes sociologiques et d’en faire l’énumération provisoire la plus complète. Ce qui est important, ce n’est pas la nouveauté de chaque terme, mais la prise de conscience du fait qu’il faut en tenir compte.

a) La notion de culture

« Une culture est la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d’une société donnée[2] ».

« Configuration » pour indiquer qu’une culture est un ensemble d’éléments interreliés; « comportements » pour exclure de la notion de culture les faits biologiques automatiques comme la respiration, la digestion, ou les pulsions instinctuelles comme se reproduire, survivre; « résultats » pour inclure dans la culture certains produits de l’homme, comme la radio ou l’automobile, à cause de leur influence sur les comportements : « partagés et transmis » pour insister sur le fait que la notion de culture implique nécessairement un processus de façonnement de l’individu par le groupe, quel que soit l’âge de l’individu, de même qu’une forme de consensus établi entre les individus quant à la manière de vivre ou de faire les choses.

Il faut distinguer soigneusement la culture réelle et la culture construite[3]. La culture réelle est celle vécue par chaque individu qui y participe; elle comprend un très grand nombre d’éléments, parce qu’elle englobe l’extrême variété des comportements des individus : personne n’agit exactement comme son voisin, tout en agissant comme lui. C’est le partage difficile du personnel et du social. La culture construite est le produit de l’activité d’un chercheur qui tente d’extraire des comportements des individus les éléments stables et qui considère le résultat de cette opération comme l’essence de la culture. En somme, décrire une culture consiste à supprimer ce qu’a de personnel chaque comportement individuel observé.

b) La notion de modèle culturel

Définissons le modèle culturel comme un standard de comportement.

À la notion de culture réelle correspond celle de modèle culturel réel. On peut le décrire comme étant l’aire de variabilité à l’extérieur de laquelle le comportement est jugé comme bizarre et provoque des réactions diverses dans deux directions : félicitation, punition.

À la culture construite correspond le modèle construit. Il est le résultat de l’activité du chercheur qui essaie de ramener le modèle réel à ses composantes stables, celles que l’individu doit absolument respecter pour être accepté du groupe, quitte à y ajouter ses variantes personnelles sans risque. Le modèle culturel construit est donc une aire de plus petite surface au centre de l’aire de modèle réel, la couronne plus ou moins large ainsi obtenue symbolisant la part de la personnalité dans le comportement de l’individu.

Enfin, il existe un troisième type de modèle, le modèle idéal. « Il s’agit d’abstractions élaborées par les membres de la société eux-mêmes; ils représentent leur opinion unanime sur la façon dont il faut se comporter en certaines situations [...]. En général, les modèles idéaux paraissent édifiés le plus souvent pour les situations que la société juge d’une importance primordiale et notamment pour celles qui engagent l’interaction des individus qui occupent des positions différentes dans le système social. Les modèles idéaux peuvent ne pas concorder, et de fait, ne concordent habituellement pas, avec les modèles construits que le chercheur élabore au moyen de ses observations sur le comportement réel. Dans certains cas, le désaccord peut signifier simplement que le modèle idéal ne parvient pas à conserver le contact avec les réalités d’une culture en plein changement [...]. Mais dans d’autres cas, il semble bien que le modèle idéal n’ait encore jamais concordé avec la moyenne du modèle culturel réel : il représente alors l’objet d’un désir, une valeur qu’on a toujours admise davantage en la violant qu’en la respectant. Dans les deux cas, les modèles idéaux exercent une action normative en décourageant les conduites qui s’écartent trop des standards qu’ils proposent[4]. »

c) La variation des modèles réels

On peut ramener à cinq types principaux les causes de la variation des modèles réels :

d) Le mode d’intégration de l’individu au modèle culturel réel

L’individu accepte, dans une très large part, les modèles culturels que lui propose la société où il vit.

La cause profonde et primordiale de ce phénomène est le besoin impérieux, vital que ressent l’individu d’être accepté et aimé par les membres du groupe où il vit.

L’individu participant à un nombre plus ou moins grand de groupes plus ou moins différenciés, il s’ensuit que le même individu variera son comportement pour se conformer aux modèles de chaque groupe où il s’insère. Il existe donc, chez l’individu, une pluralité de modèles réels qui lui permettent de s’adapter aux groupes auxquels il a affaire. L’importance du phénomène est directement proportionnelle à la mobilité de l’individu.

e) L’écart entre le modèle réel et le modèle construit

Nous avons vu que le modèle construit est l’œuvre du chercheur.

Il existe toujours un écart entre le modèle réel et le modèle construit : cela découle du processus même de la connaissance.

Cet écart peut signifier deux choses : ou bien, l’habileté du chercheur à saisir et à écrire le réel; ou bien, l’état des connaissances dans un domaine donné.

Il ne faut donc pas confondre le modèle construit et le modèle réel, encore moins identifier le premier au second.

Dans le domaine de l’analyse de la culture, plus qu’ailleurs, il faut conserver un sain scepticisme à l’égard des modèles construits que nous proposent les divers chercheurs.

f) La notion de langue

Nous nous en tiendrons, pour l’instant, au langage articulé humain, même si nous sommes convaincus que les autres formes de langage doivent s’insérer dans une théorie globale de l’aménagement linguistique.

La langue est un système de conventions grâce auxquelles les individus d’un même groupe communiquent entre eux. On y distingue une composante phonologique, une composante syntaxique, une composante sémantique. On y distingue également une profondeur et une surface, qui correspondent à peu près à l’implicite et à l’explicite de la définition de la culture[5], c’est-à-dire à l’intériorité (non observable ou vérifiable directement mais, indirectement, par le biais des comportements) et à l’extériorité (observable et vérifiable). La composante phonologique (profondeur) se réalise dans la chaîne phonétique (surface), la composante syntaxique dans le déroulement linéaire de la phrase; la composante sémantique se réalise d’une part par le truchement de la composante syntaxique, d’autre part par la composition (grâce à la composante phonologique) de divers sémèmes, soit lexèmes, c’est-à-dire le lexique, soit morphèmes, c’est-à-dire la morphologie.

La langue donne lieu à un ensemble de comportements. Elle est partie intégrante de la culture. On doit lui appliquer la même analyse sociologique ou anthropologique qu’aux autres institutions ou comportements constitutifs de la culture.

g) Application de la notion de modèle à la langue

La notion d’idiolecte tente de cerner les variations individuelles (idiolecte : manière dont un individu manipule la langue); la notion de niveaux de langue tente de cerner les variations linguistiques socio-économiques; celle de langue spécialisée recouvre les variations occupationnelles ; celle de langue régionale correspond aux variations géographiques; les variations temporelles sont l’objet de la linguistique diachronique. Enfin, l’intersection de toutes ces variations, à l’exclusion des variations temporelles, constitue la langue commune. Par métaphore, on pourrait représenter ces notions par une marguerite dont le cœur serait la langue commune, les pétales les divers types de variations ; de même qu’une marguerite est composée d’un cœur et d’un certain nombre de pétales, de même la langue est constituée de la langue commune et des variations. On a beaucoup tendance à réduire la langue à la seule langue commune. Ce peut être nécessaire aux chercheurs pour des raisons méthodologiques, ou conformément à une stratégie de description. Mais il faut le savoir et le dire. Par rapport aux modèles construits, on pourrait utiliser une autre métaphore, celle de la pyramide : au bas de la pyramide, les idiolectes; au premier étage, les modèles construits correspondant à un petit groupe, la famille, par exemple; au deuxième, les modèles construits correspondant à un groupe plus grand, par exemple, le quartier, la ville; ensuite, ceux correspondant à une région, à un pays; enfin, au sommet, le modèle linguistique construit unique applicable à tous les comportements langagiers des membres du super-groupe, par exemple la francophonie. Plus on va vers le sommet, plus on généralise, plus on s’éloigne du réel.

Les variations sont d’autant plus intenses qu’elles se rapprochent de phénomènes linguistiques de surface. Ainsi, elles atteignent la plus grande intensité dans le lexique et la phonétique.

II. Mode d’implantation des modèles linguistiques réels

La question que nous nous posons est la suivante : comment les modèles linguistiques réels s’imposent-ils à l’individu?

On peut répondre à cette question en se plaçant successivement à deux points de vue, celui de l’individu et celui du groupe, tout particulièrement de la société.

a) Point de vue de l’individu

En guise de réponse, on peut formuler au moins trois hypothèses :

b) Point de vue du groupe

La réponse la plus fréquente à la question que nous posions plus haut est : l’usage détermine le comportement linguistique de l’individu. Autrement dit, la société amène un individu à parler et à écrire d’une certaine manière de par la seule influence des habitudes linguistiques les plus répandues dans le groupe. Si vous êtes linguiste, vous aurez donc tendance à concevoir l’usage dans une perspective statistique et à penser que c’est la fréquence nette d’un phénomène qui fait qu’il est accepté ou acceptable; de plus, vous donnerez priorité à la langue parlée. Si vous êtes grammairien, vous distinguerez entre le bon et le mauvais usage et vous observerez surtout la langue écrite.

Le corollaire de cette réponse est un net refus généralisé du concept de dirigisme linguistique. La plupart des observateurs et, parfois, des usagers interdisent à la société, et à son incarnation politique l’État, d’intervenir dans les usages linguistiques, en en fixant, d’une manière ou de l’autre, les modalités.

On peut établir un certain parallélisme entre ce type de réponse et le libéralisme économique. La thèse centrale[6] du libéralisme économique réside dans l’affirmation de l’existence, dans le domaine économique, d’un ordre naturel qui tend à s’établir spontanément. Le rôle des individus doit se borner à découvrir les lois économiques qui entraînent le système vers l’équilibre. L’individu est l’agent économique par excellence, à qui il faut accorder le maximum de liberté. L’État et les groupes privés ne doivent pas, par leur intervention, gêner le libre jeu de la concurrence entre individus, qui, à elle seule, équilibrera production et consommation grâce au mécanisme des prix, tandis que celui des revenus ajustera l’offre et la demande de travail et de capital. L’ordre naturel doit assurer un développement économique sans crise; il est très supérieur à tout ce qui pourrait résulter d’une organisation de l’économie par les hommes. Malheureusement, l’application de cette théorie a provoqué et provoque encore des crises économiques plus ou moins graves et l’État dut intervenir pour orienter la vie économique de la société. L’idée de la non-intervention de l’État dans l’économie est périmée et nous vivons aujourd’hui dans un système économique de plus en plus orienté et contrôlé par l’État. La théorie du libéralisme économique comportait un certain idéalisme quant à l’homo economicus et marquait l’ignorance des mécanismes réels de la vie économique. Nous croyons qu’il en est de même de la théorie de l’usage : elle donne bonne conscience à notre ignorance des mécanismes du façonnement linguistique de l’individu et suppose un homo loquens totalement libre. En un mot, répondre que c’est l’usage qui détermine le comportement linguistique, c’est ne rien dire.

Nous proposons plutôt, à titre d’hypothèse, la réponse suivante : les comportements linguistiques de l’individu sont fortement façonnés par l’État et les groupes privés, qui mettent en place des procédés de standardisation linguistique.

III. Les procédés de standardisation linguistique

Notre hypothèse repose sur l’observation empirique d’un certain nombre de phénomènes sociaux, dont l’objet, en tout ou en partie, est d’orienter, avec plus ou moins de force et de succès, le comportement linguistique des individus.

À titre indicatif, nous nous proposons d’en faire l’énumération, avec quelques remarques descriptives, sans nous préoccuper ni de pousser la description de chaque phénomène très loin, ni d’être exhaustif dans leur inventaire.

a) L’enseignement de la langue commune

L’enseignement de la langue commune aux enfants surtout (école maternelle et élémentaire), aux adolescents (école secondaire) et aux jeunes gens (cégep) a pour objectif fondamental de leur donner une maîtrise souple et aussi étendue que possible de leur idiome maternel.

Cette situation d’apprentissage est extrêmement complexe quant à son influence sur le développement linguistique des sujets-agents.

b) L’enseignement des langues techniques et professionnelles

Enseigner la chimie, la plomberie, le droit ou la gestion des entreprises, c’est non seulement enseigner une science, une technique, un art, c’est aussi et surtout enseigner un vocabulaire, une terminologie et, on l’oublie trop, une stylistique, c’est-à-dire une manipulation particulière de la langue, propre à cette activité (rédaction d’un rapport de laboratoire, rédaction d’un contrat, etc.). Et tous apprennent, à peu de variantes près, la même chose, l’idéal des sciences et des techniques étant de plus grande uniformité possible. En ce sens, l’usage, que fait l’individu, de la langue pour son activité professionnelle, est très fortement orienté et standardisé dès le départ, dès l’apprentissage ou l’étude des rudiments de celle-ci.

c) Mode d’utilisation de la langue à l’usine

D’autant plus que le mode d’utilisation est extrêmement contraignant : à son arrivée à l’usine, l’individu n’a pas beaucoup le choix quant à la langue qu’il va utiliser, il sera forcé de prendre celle de l’usine. Le Québec en donne une démonstration chaque jour, puisqu’on y observe que des individus travaillent en anglais, même si toutes leurs études se sont déroulées en français et même si le reste de leur vie se passe en français. La situation de travail, comme celle d’apprentissage, est complexe. Elle comporte beaucoup d’éléments dont la somme totale définit la contrainte linguistique qui s’exerce sur l’individu. Nous citons comme exemples :

d) Le mode d’utilisation de la langue par les organismes gouvernementaux

Le mode d’utilisation de la langue par les organismes gouvernementaux, tout particulièrement lors de la rédaction des textes juridiques et dans les imprimés de gestion des différents programmes. Par exemple, le programme d’assurance maladie véhicule toute une terminologie et une phraséologie que tous les intéressés respecteront et reproduiront parce que c’est officiel, et souvent parce qu’ils ne peuvent faire autrement même s’ils le voulaient.

Il y a un très net processus de contrainte linguistique. Encore ici, le Québec est un très bon terrain d’observation.

e) La langue des médias : radio, télévision, cinéma, journaux, revues, publicité

Que les médias, de par le modèle linguistique qu’ils proposent, exercent une influence normalisatrice sur leurs adeptes est admis par un très grand nombre d’observateurs, de linguistes entre autres. C’est ainsi qu’en France, on leur attribue une part de responsabilité dans la disparition des parlers régionaux. Au Québec, on prétend que Radio-Canada a contribué à modifier (à améliorer, disent certains) la situation linguistique.

f) L’activité des groupes de normalisation technique

Nous entendons par là des organismes (type Association française de normalisation, Association canadienne de normalisation), des groupes (type associations professionnelles, chambre syndicale), des organismes gouvernementaux (type service de la loyauté des ventes, service d’inspection des viandes) dont l’activité comporte une forme d’intervention dans le domaine du vocabulaire ou de la terminologie.

Par exemple, l’Association française de normalisation entreprend de normaliser la fabrication des boulons, vis, écrous. Son objectif est strictement technique : décrire les spécifications des produits. Mais elle doit aussi les nommer. Si tous les fabricants utilisent le même terme, pas de problème; s’il y a divergence, on procédera à une consultation, on dégagera un consensus, de manière à ne rendre officiel qu’un seul mot qui, fort de ce caractère, supplantera peu à peu les autres.

Autre exemple : en standardisant les coupes de viandes, on standardise du même coup la terminologie ; non seulement le boucher découpera-t-il la bête d’une certaine manière, mais il la vendra sous une certaine appellation, contrôlée par le service de la loyauté des ventes.

Dernier exemple : il existe à Québec et à Ottawa un service de contrôle de l’étiquetage des produits alimentaires, qui surveille non seulement les poids et mesures, les composants chimiques, mais aussi l’appellation du produit, qui doit correspondre au vocabulaire accepté par chaque service. D’où influence sur le vocabulaire du consommateur.

g) L’activité d’organismes officiels à vocation normative

Exemple : L’Académie française, l’Académie Goncourt, le Conseil international de la langue française, l’Office de la langue française du Québec, les Commissions ministérielles de terminologie (mises sur pied par le gouvernement français pour trouver des équivalents français aux mots anglais les plus utilisés dans chaque ministère).

Quoi qu’on en pense, il nous faut examiner l’influence de ces organismes sur le développement d’une langue.

h) L’activité des chroniques de langue

L’activité de certains individus qui se donnent comme vocation d’orienter l’usage, de le régler, de le corriger. Exemple : Grevisse, par la publication du Bon Usage, Littré, par la publication de son dictionnaire, les émissions de langue de Radio-Canada, les chroniques de langage dans les journaux.

Là encore, il faut examiner de près l’influence de ces personnes, son mode de pénétration, sa diffusion dans la collectivité.

IV. L’aménagement linguistique

C’est en observant ces phénomènes, c’est en y réfléchissant que nous en sommes venus à mettre en doute notre propre croyance en l’usage, à penser que des forces sociales orientaient fermement et avec succès le comportement linguistique des individus et à ressentir le besoin d’examiner ces faits avec méthode et rigueur.

Voilà, pourquoi nous proposons une nouvelle voie à la sociolinguistique, que nous désignons sous le terme d’aménagement linguistique.

L’aménagement linguistique a pour objet :

L’objectif poursuivi est d’assurer le développement de la langue en harmonie avec celui de la société, de la science et de la technologie, de manière à ce qu’il n’y ait aucun hiatus entre eux.

Conclusion

Nous sommes fermement convaincus que l’évolution de l’humanité provoquera de tels chocs entre les langues qu’il faudra intervenir et assurer leur coexistence et leur développement.

Notes

Zusammenfassung (allemand)

Ausgehend von den Problemen des frankophonen Sprachraums in Kanada greift der Autor die Frage auf, ob die Entwicklung einer Sprache und der Sprachgebrauch nur den regional vorherrschenden soziologischen und ökonomischen Einflüssen unterworfen bleiben oder ob bewußt eine harmonische Gesamtentwicklung innerhalb eines größeren Kulturraums angestrebt werden soll.

Alle schriftlichen Erzeugnisse (von der Schlagzeile bis hin zur gehobenen Literatur), Rundfunk und Fernsehen üben einen jeweils unterschiedlichen Einfluß auf die einzelnen soziologischen Gruppen und deren Sprachgebrauch aus. Soll man jedoch die Entwicklung einer Sprache — ähnlich den Prinzipien des wirtschaftlichen Liberalismus — sich selbst bzw. den obigen Einflüssen überlassen oder aber zur Wahrung der sprachlichen und damit geistigen Einheit — bei aller Achtung vor der kulturellen Vielfalt wie beispielsweise im frankophonen Sprachraum — mit helfender Hand sinnvoll eingreifen ?

Jean-Claude Corbeil liefert hierzu eine umfangreiche Untersuchung und gibt eine Antwort auf diese nicht unerhebliche Frage.

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, Éléments d’une théorie de l’aménagement linguistique, Québec, Régie de la langue française, Éditeur officiel du Québec, coll. « Études, recherches et documentation », 1975 [octobre 1972], 40 p. [article]