Congrès mondial sur les politiques linguistiques - Atelier no 1 : Les législations linguistiques et leur application - Exposé d’introduction de Jean-Claude Corbeil - Concurrence linguistique et promotion des langues

On ne peut discuter de politique et de législation linguistiques sans tenir compte de la nature même de la langue et de sa relation avec la société. Notre thème de réflexion est donc complexe. Il exige à la fois une solide assise théorique empruntée à la sociologie, à la linguistique ou à la psychologie sociale, et une approche concrète et réaliste puisque l’objectif est d’intervenir dans une situation linguistique particulière par des mesures administratives et juridiques.

Il est évident que je ne peux, en trente minutes, traiter de tout en détail. J’essaierai tout de même de dire l’essentiel, à partir de mon expérience de la politique linguistique québécoise et canadienne. Cette expérience personnelle, j’ai eu l’occasion de la comparer et de la confronter à celles d’autres collègues, dans d’autres pays, en Catalogne et au Pays basque, dans les trois pays du Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc) où les stratégies d’affirmation de l’arabe face au français sont fort différentes, au Rwanda, dans le contexte d’un pays en voie de développement où l’objectif était d’introduire le kinyarwanda comme langue d’enseignement et langue de fonctionnement de l’État.

À l’évidence, les situations sociolinguistiques de ces pays n’ont, en apparence, aucune similitude et commandent des politiques linguistiques originales et particulières. Ce qui est rigoureusement vrai.

Par contre, d’un pays à l’autre, on observe que les mêmes phénomènes sociaux sont à l’œuvre et à l’origine d’une dynamique linguistique que l’on souhaite orienter. On observe également que les mêmes problèmes techniques se posent malgré les différences de langues, par exemple la définition et la description d’une forme standard de la langue aussi bien pour son enseignement que pour son utilisation comme langue administrative, langue des médias écrits et parlés, langue de la vie économique et langue de travail, d’où, presque partout, le problème de la mise à niveau et de la normalisation des vocabulaires requis, la préparation, la publication et la diffusion des ouvrages linguistiques de référence, grammaires, dictionnaires, lexiques adaptés à des clientèles variées, la formation du personnel chargé de l’application des mesures retenues, etc.

Ainsi se précise un champ de collaboration possible en matière d’aménagement linguistique, à la condition stricte que la situation particulière de chaque pays soit prise en compte et respectée.

Dans cet exposé, et pour répondre au thème de notre atelier, je m’en tiendrai à traiter de l’aspect social de la question, en laissant de côté les aspects techniques. Je vous propose quelques pistes de réflexions dont le thème central est la concurrence linguistique, hier considérée du seul point de vue de la situation sociolinguistique propre à un pays, aujourd’hui devenue mondiale, ce qui risque de perturber les stratégies linguistiques nationales.

Promotion d’une langue et concurrence linguistique interne.

La définition d’une politique linguistique répond à deux objectifs sociaux distincts mais étroitement liés l’un à l’autre : la promotion d’une langue, d’une part, et, d’autre part, l’aménagement des relations, et souvent de la concurrence, entre les langues en présence. En fait, la promotion d’une langue est la réponse à la concurrence qu’elle subit de la part d’une autre langue. C’est là l’origine de toute politique linguistique. Celles qui existent aujourd’hui le démontrent : en Espagne, la promotion du catalan ou de l’euskara vise à contrebalancer la prédominance de l’espagnol; au Québec, la promotion du français vise à endiguer la pression de l’anglais; en Belgique, les Flamands veulent sauvegarder leur langue face au français des Wallons; les trois pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) ont le même objectif par rapport à la langue russe. Une politique linguistique, même avec l’appui d’une législation, ne supprime pas la concurrence, elle ne peut tout au plus que la contenir en y faisant contrepoids.

On pourrait croire que ce n’est vrai que des langues en situation de danger. Tel n’est pas le cas. Deux exemples le démontrent, aux États-Unis et en France.

Jusqu’à maintenant, personne ne doute, du moins ne doutait, que l’anglais est la langue des États-Unis, sans qu’il ait été nécessaire d’en préciser le statut dans la constitution américaine. L’anglais n’est certainement pas mis en danger par la présence de plus en plus grande de la langue espagnole. C’est plutôt la politique du melting pot qui est compromise par le fait que les immigrants de langue espagnole tendent maintenant à faire usage de leur langue dans la vie publique et non dans le seul domaine de la vie familiale et communautaire comme le faisaient les immigrants du passé. Des défenseurs de la langue anglaise s’en émeuvent et se sont constitués en groupe de pression, sous un nom qui est tout un programme, For English Only, avec un certain succès puisque 25 états de l’Union ont déclaré l’anglais seule langue officielle.

Second exemple. La France a jugé nécessaire de contrer les effets de la pression de l’anglais sur le français et a adopté différentes mesures à cette fin : création en 1966 d’un "Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française", vote en décembre 1975 d’une première législation linguistique, la loi Bas-Lauriol des noms de ses initiateurs, inscription en 1992 d’un nouvel article 2 dans la constitution qui déclare le français langue de la République, enfin, raffermissement de la législation linguistique par la loi Toubon en 1994.

C’est donc ce tandem, promotion d’une langue et concurrence linguistique, qui est au départ de tout projet de politique linguistique.

Le besoin, la volonté de promouvoir une langue découle de la fonction identitaire qu’elle assume au sein d’une communauté. La langue n’est pas un simple moyen de communication, comme on le dit souvent. C’est aussi, et surtout, un puissant facteur d’intégration et un puissant agent de cohésion sociale. En effet, la langue crée entre les individus une solidarité et une connivence de tous les instants, elle symbolise et manifeste l’appartenance à une société et à une culture, différentes des autres, tout aussi riches et dignes de respect. La langue soude ses locuteurs en une communauté dont les membres partagent, exprimée par elle, une histoire, un destin politique, des institutions, qui partagent également des attitudes à l’égard des autres communautés linguistiques, et donc des autres langues. Tous ses locuteurs y trouvent réconfort et sécurité. Si, à l’occasion ou à cause des contacts avec une autre langue, ces sentiments sont mis en péril, surtout si la sécurité linguistique et culturelle est compromise, l’intention, puis la volonté de protéger langue et culture prennent racine dans l’opinion publique, s’affirment au fur et à mesure que les effets de la concurrence se manifestent et finissent par s’imposer aux partis politiques et aux gouvernements.

Lorsque plusieurs langues coexistent sur le même territoire, elles ont tendance à se partager les divers domaines de l’organisation sociale, suivant que les locuteurs d’une langue dominent dans tel ou tel domaine et y imposent l’usage de leur langue. Laissée à elle-même, dans un libre marché des langues, cette tendance provoque la concurrence linguistique et entraîne le plus souvent la suprématie de la langue la plus forte. C’est donc ce partage qu’une politique linguistique cherche à influencer en faveur d’une langue, en modifiant les règles du marché linguistique par des mesures administratives ou juridiques.

Identifier les domaines d’utilisation de la langue, c’est donc à la fois identifier les lieux de la concurrence linguistique et ceux, en réaction, où une politique linguistique peut être efficace.

Nous en retenons cinq principaux :

  1. La famille et le milieu social communautaire.

    La transmission de la langue d’une génération à l’autre au sein de la famille est la condition essentielle de la persistance de cette langue. Si, pour diverses raisons, cette transmission se brise, s’arrête et si en plus la langue n’est plus utilisée dans les activités communautaires, elle tend à disparaître au fur et à mesure que ce mouvement d’abandon se généralise. On observe une telle tendance dans les communautés dont la langue est fortement minorisée, par exemple les langues indigènes d’Amérique. Dans ces cas, la toute première mesure à prendre est de rétablir la transmission de la langue dans le milieu familial et communautaire.

  2. L’École, le processus de scolarisation.

    L’École joue un rôle de premier plan aussi bien en concurrence linguistique qu’en politique linguistique, et à divers plans.

    D’abord par le choix de la langue d’enseignement et le choix de la variante de cette langue qui sera enseignée. Beaucoup d’enfants découvrent par l’École, en plus de l’écriture, une forme de leur langue plus ou moins éloignée de leur langue d’enfance, premier contact avec la variation linguistique sociale et découverte du fait que toutes les variantes n’ont ni le même prestige, ni la même valeur, ni les mêmes domaines d’utilisation.

    Ensuite par le choix de la ou des langues enseignée(s) comme langue(s) seconde(s) ou étrangère(s). Les langues présentes sur le territoire mais exclues de l’École auront tendance à se maintenir uniquement comme langue(s) parlée(s), dans la famille et le milieu communautaire, à moins que la communauté ne prenne l’initiative d’en organiser l’enseignement hors de l’institution scolaire officielle.

    Enfin par la manière dont se fait le passage entre la langue de l’École et celle des enfants dont la langue maternelle n’est pas celle de l’École : faut-il prévoir des classes de transition ou faut-il provoquer une plongée immédiate et brutale de l’enfant dans cette langue de l’École qui lui est étrangère? Ce type de débat est récurrent, par exemple aux États-Unis où le dernier épisode s’est déroulé il y a peu en Californie.

  3. La gestion de l’État : la langue du pouvoir politique.

    Dans quelle(s) langue(s) l’État conduit-il ses activités : délibérations de l’assemblée nationale; publications des lois, décrets ou règlements; administration de la justice; administration des affaires publiques par les ministères, donc langue de travail des fonctionnaires et langue des publications gouvernementales; relation avec les citoyens, personnes physiques et morales; langue dans laquelle ou lesquelles un citoyen peut participer à la vie politique et collective.

    Le plus souvent, les États ont tendance à n’utiliser qu’une seule langue, selon le postulat jacobin : une nation, une langue. Si l’État reconnaît deux ou plusieurs langues, ce plurilinguisme officiel tend à être asymétrique en faveur d’une langue principale, en général celle de la majorité des citoyens. D’autre part, dans tous les États où se côtoient des citoyens de langues différentes, le choix de la langue des services publics pose de constants problèmes, à la recherche d’une manière de concilier langue nationale commune et langue des citoyens, surtout dans les secteurs vitaux que sont la santé, la justice, la sécurité.

  4. L’activité économique : la langue du pouvoir économique.

    L’activité économique touche un grand nombre de secteurs qui concernent directement la vie quotidienne de tous les citoyens : la diffusion des biens de consommation courante accompagnés des modes d’emploi et garanties, la publicité sous toutes ses formes, les contrats, la langue de travail et des conventions collectives, etc. L’activité économique entraîne une forte activité de communication, internes et externes. La langue, ou les langues alors utilisée(s) acquière(nt) de ce fait une motivation économique réelle puisqu’elle(s) donne(nt) accès aux services, aux produits et au travail. L’activité économique, surtout dans le domaine tertiaire, oriente ou même contraint les choix linguistiques des personnes à la recherche du bien-être : une langue qui ne permet pas de gagner sa vie ou de réussir professionnellement est une langue de seconde zone.

  5. L’activité technologique et scientifique : la langue du pouvoir scientifique.

    La généralisation rapide et récente de la microinformatique et de ses produits, matériel et logiciel, a mis en relief l’inégalité des langues dans le domaine scientifique et technologique. L’anglo-américain y prédomine incontestablement, mettant toutes les autres langues, et leurs locuteurs, dans une situation de dépendance.

La présence plus ou moins grande d’une langue dans les domaines que nous venons d’évoquer détermine son niveau d’utilité, par voie de conséquence de développement et de standardisation, grammaticale, lexicale, terminologique et stylistique. En découlent le prestige dont elle peut jouir et son pouvoir symbolique comme moyen de communication.

Il devient alors évident qu’une politique linguistique doit être globale pour être efficace. D’une politique linguistique à une autre, on constate une tendance très nette : les mesures sectorielles sont confiées aux ministères concernés et celles d’intérêt général sont réunies dans une législation linguistique. Il n’est pas toujours facile d’assurer la cohérence de cet ensemble éclaté de mesures, de concilier au jour le jour et à long terme les objectifs de chaque ministère avec ceux de la politique linguistique.

La législation linguistique n’épuise donc jamais les dispositions d’ordre linguistique qu’a pris et qu’applique un gouvernement. La notion de "politique linguistique" est plus large, et plus déterminante, que celle de "législation linguistique", qui n’en est qu’un élément, central peut-être mais non exhaustif. Ainsi, au Québec, la politique linguistique est définie par un ensemble de dispositions : de la part du ministère de l’Éducation (français comme langue d’enseignement, enseignement du français et de l’anglais comme langues secondes, enseignement des langues autochtones et des langues d’immigration, enseignement de langues tierces comme réponse à la mondialisation); dispositions du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (politique d’immigration et politique d’intégration des immigrants); de la législation linguistique proprement dite, la Charte de la langue française : statut du français, seule langue officielle et langue de fonctionnement de l’État, conditions d’accès à l’école de langue anglaise puisque la constitution du Canada oblige le Québec à maintenir un double réseau d’institutions scolaires, mesures pour généraliser l’emploi du français dans le commerce et les affaires, comme langue de travail dans les entreprises.

Politique linguistique et concurrence mondiale ou supranationale.

Toute politique linguistique prend racine dans un arrière-plan historique, qui s’étend parfois sur des siècles. Par exemple, la politique linguistique catalane a évolué avec l’histoire des relations entre la Catalogne et la Castille, depuis le Moyen-Âge jusqu’à nos jours, marquée par des éclipses et des retours de la langue catalane par rapport à la langue castillane. En France, la politique linguistique commence avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1635, elle provoque la décadence des langues régionales, confirmée par la politique linguistique de la Révolution et la politique scolaire de Jules Ferry, elle s’éveille de nos jours à la concurrence de la langue anglaise et tente depuis peu de définir un nouvel équilibre entre langue nationale unique et langues régionales multiples. Au Québec, la question de la langue se pose brutalement au moment de l’irruption de la langue anglaise dans ce qui était la Nouvelle-France, défaite en 1760 par l’Angleterre sur les plaines d’Abraham. Raison de plus pour distinguer la politique de la législation linguistique puisque, dans ces trois pays, la législation linguistique apparaît en tout dernier lieu, au Québec à partir de 1969, en France à partir de 1975 et en Catalogne depuis 1983.

Les politiques et législations linguistiques nationales se sont donc élaborées lentement, parfois difficilement, au fil des années, la question de la langue étant au cœur de la construction de l’État et de la capacité du citoyen à participer à la vie collective, culturelle, politique, économique. Elles sont, implicitement ou explicitement, au fondement même de la nation.

Aujourd’hui, deux phénomènes risquent de modifier l’économie des dispositions linguistiques nationales et, éventuellement, d’en compromettre la légitimité.

D’une part, le lieu de la concurrence linguistique s’est déplacé, ou, devrions-nous dire avec plus de justesse, à la concurrence linguistique interne particulière à un pays s’ajoute maintenant la concurrence linguistique externe. La logique de la mondialisation et du néolibéralisme favorise les langues de très grande diffusion au détriment des autres langues. L’anglo-américain, tout particulièrement, est devenu langue hégémonique quasi mondiale, surtout dans le domaine de l’économie et des relations internationales. Ainsi, en Catalogne, le doublage des films et des émissions de télévision ou la diffusion des produits informatiques en langue espagnole compromettent la situation de la langue catalane dans ces secteurs de grande consommation et, de ce fait, diminue sa diffusion ou son utilité. De plus, l’utilisation de l’anglais s’accroît, d’où une nouvelle source de pression sur la langue catalane. Autre exemple de l’effet de la concurrence linguistique mondiale : l’usage de l’anglais augmente au Québec avec la généralisation, surtout par Internet, des communications avec le reste du continent et avec le reste du monde où l’anglais est devenu lingua franca. En conséquence, l’importance du français diminue, les dispositions de la législation linguistique, surtout relatives au commerce et aux affaires, ou à la langue de travail des entreprises, sont de plus en plus compromises par les nécessités de la communication avec l’extérieur.

D’autre part, la formation d’organismes supranationaux, économiques d’abord, politiques ensuite, comme l’Union européenne, l’Aléna en Amérique du Nord, le Mercosur en Amérique du Sud, demain la Zone de libre échange des Amériques, risque de perturber profondément la dynamique de la concurrence linguistique à l’intérieur de chaque pays membre et donc leur organisation linguistique interne et le statut international de leurs langues.

C’est en Europe que ces tendances sont les plus perceptibles, puisque deux organismes distincts proposent ou suivent des politiques linguistiques différentes, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

Le Conseil de l’Europe[1] vise à "protéger et développer le patrimoine linguistique et la diversité culturelle de l’Europe". À cette fin, le Conseil a soumis aux États membres une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour en favoriser l’emploi "dans l’enseignement et dans les médias", pour en "permettre l’usage dans le monde judiciaire et administratif, dans la vie économique et sociale et dans les activités culturelles". Cette Charte vise les langues "pratiquées traditionnellement sur le territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numérique inférieur au reste de la population de l’État". De ce fait, elle exclut les langues des migrants et n’a pas pour objet la protection de toutes les minorités linguistiques.

L’Union européenne a pour objectif l’intégration économique et politique des pays membres. Le dossier de l’intégration économique est le plus avancé : monnaie unique, l’euro, et marché unique d’après la règle de la libre circulation des personnes, des services, des biens et des capitaux. À cette fin, l’Union européenne génère elle-même une législation qui s’applique directement aux États membres, aux entreprises et aux citoyens européens et crée ainsi des droits spécifiques à leur profit. Cependant, aucune règle n’encadre sur le plan linguistique ce principe de la libre circulation, ne serait-ce que pour protéger les langues nationales des consommateurs des pays membres, par exemple dans les divers documents qui accompagnent les produits et services. Pour l’instant, l’Union laisse jouer le libre marché des langues.

Les heurts sont inévitables entre la politique du Conseil de l’Europe et celle de l’Union européenne, d’une part, d’autre part entre ces deux politiques supranationales et les politiques linguistiques que des États ou des gouvernements se sont données.

Le Conseil de l’Europe soutient la diversité linguistique et culturelle. Par la Charte qu’il propose, il demande aux États membres de reconnaître l’existence de langues minoritaires, qu’il revient à chaque pays d’identifier, et d’en rendre possible l’emploi dans les secteurs mentionnés plus haut. Les exigences de la Charte ranime le débat du statut des langues minoritaires dans chaque pays membres du Conseil, ce qui explique qu’à ce jour, peu de pays l’ont signée.

L’Union européenne admet douze langues officielles et onze langues de travail. Dans les faits, la majeur partie du travail s’effectue en anglais et en français, de plus en plus en anglais d’ailleurs. L’augmentation prochaine du nombre de pays membres, donc de langues, fait craindre une explosion de la gestion linguistique des activités de l’Union. Deux hypothèses de solution se dessinent : soit réduire le nombre des langues de travail à cinq ou six, soit utiliser uniquement l’anglais. Les négociations seront difficiles, chaque pays tenant à sa langue nationale, sans compter que la décision retenue pourrait être en contradiction avec la diversité linguistique prônée par le Conseil de l’Europe. En ce qui concerne la circulation des personnes, des biens et des services, la politique du libre marché des langues favorise nettement la prédominance de l’anglais et compromet l’application des dispositions des législations linguistiques nationales.

En guise de conclusion

Pour toutes ces raison, les questions linguistiques seront très présentes tout au long des premières décennies du XXIe siècle.

Chaque pays réagira, au nom de la sauvegarde de son identité nationale, à l’uniformisation linguistique et culturelle mondiale, en économie sous la pression de l’hégémonie anglo-américaine, en économie et en politique sous l’influence des organismes supranationaux. On constate, en effet, que le thème de la "diversité culturelle et linguistique" pénètre de plus en plus la conscience des citoyens partout dans le monde. Les grandes réunions des stratèges de la mondialisation se heurtent partout au rassemblement populaire des citoyens et des groupes qui s’y opposent et qui dénonçent la dictature de la rentabilité économique à tout prix. Le maintien et la protection de la diversité s’imposent de plus en plus comme l’un des objectifs de la mondialisation, à concilier avec l’organisation du marché mondial ou régional. Par contre, il est évident que, si le thème de la diversité a gagné en importance dans le discours, ce qui est déjà un progrès, la manière de la réaliser demeure totalement floue. Chaque proposition concrète en faveur de la diversité remet en cause la logique déjà mise en place par les organismes qui, jusqu’ici, ont créé le cadre politique et juridique de la mondialisation ou de la régionalisation. Il n’y a qu’à voir l’opposition que soulève au sein de l’OMC la proposition d’exclure les produits culturels des règles du marché mondial pour s’en convaincre. Le défi des tenants de la diversité est de réfléchir à rendre opérationnel cet objectif.

À un tout autre niveau, la concurrence linguistique mondiale et régionale atteindra chaque pays. Ses effets seront lents à se manifester, mais, tôt ou tard, les citoyens prendront conscience de ses conséquences sur leur propre vie, de travailleurs ou de consommateurs. Les pays qui se sont pourvus d’une politique et d’une législation linguistiques seront sans doute les premiers à réagir, dans l’obligation où ils seront soit de contester les règles supranationales, soit d’adapter leurs dispositions au nouveau cadre.

Dans l’un et l’autre cas, le rôle de l’opinion publique est déterminant. C’est sous sa pression que se définissent toutes les politiques, y compris la politique linguistique. L’application et l’évolution de cette politique prend appui sur elle. La volonté d’un gouvernement en matière de politique linguistique est entièrement tributaire de l’appui qu’il reçoit des citoyens, des électeurs, notamment des partisans de cette politique et de leur poids relatif dans l’électorat. Ainsi en va-t-il dans les pays démocratiques.

Orientations bibliographiques

Note

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, « Concurrence linguistique et promotion des langues », Linguapax, en ligne [http://www.linguapax.org/wp-content/uploads/2015/07/CMPL2002_T1_Corbeil_Fr.pdf], Congrès mondial sur les politiques linguistiques, Barcelone, 16-20 avril 2002. [article]