La terminologie : une discipline au service d’objectifs multiples

Jean-Claude Corbeil
Secrétaire à la Politique linguistique, Québec

Résumé

L’exposé propose une réflexion sur deux points principaux :

  • Les conceptions de la terminologie et les méthodologies qui en découlent en partant de la question : pourquoi fait-on de la terminologie.
  • La terminologie joue un rôle déterminant dans l’aménagement linguistique d’un pays.

Pourquoi faire de la terminologie

À la réflexion, on peut distinguer six motifs principaux de s’engager dans des travaux de terminologie : 1- Comme soutien indispensable à la réalisation d’une politique linguistique; 2- Comme soutien à la définition d’une norme technique, ou encore comme soutien à la rédaction d’une loi, d’un règlement ou d’un code; 3- Pour régler les problèmes terminologiques que posent l’exercice d’une profession, l’enseignement d’une matière, l’établissement d’un catalogue, la publicité commerciale; 4- Pour compulser des thesaurus documentaires; 5- Pour traduire ou rédiger un texte ou faire la traduction simultanée ou l’interprétation d’une conférence; 6- Pour répondre aux questions des usagers dans le fonctionnement quotidien d’un service de consultation linguistique et terminologique.

Il en découle quatre approches principales de la terminologie : une approche de normalisation technique du vocabulaire, une approche traductionnelle, une approche documentaire et, enfin, une approche sociolinguistique. D’où deux grandes méthodes de travail, la terminologie systématique et la terminologie ponctuelle.

Aménagement linguistique et terminologie

Dans ce domaine, le vocabulaire est souvent flou. Nous définirons donc les termes suivants : politique linguistique, aménagement linguistique, législation linguistique, norme linguistique, d’où usage standard et standardisation, norme lexicale, norme terminologique et rapports entre elles.

Stratégie d’implantation des terminologies

Il nous faut réfléchir sur les éléments d’une stratégie d’implantation des terminologies.

Le principe fondamental en est le suivant : la terminologie se diffuse par son insertion dans les communications institutionnalisées, qui façonnent l’usage des locuteurs individuels, d’où la distinction entre communication individualisée et communication institutionnalisée.

La contrepartie de ce premier principe, c’est qu’il ne faut pas faire reposer sur le locuteur individuel la diffusion des terminologies.

Enfin, il existe un petit nombre de lieux qui jouent un rôle de premier plan dans la diffusion des terminologies.

Chose certaine, on peut dire, en abordant l’implantation a contrario, que ce n’est pas l’équipe qui assume les travaux de terminologie qui est la mieux placée pour assurer la diffusion des résultats de ses travaux.

En guise de conclusion

La terminologie n’est pas une simple activité de recherche portant sur les vocabulaires de spécialité, c’est surtout et fondamentalement une entreprise d’orientation de l’usage et de changement linguistique planifié.

D’entrée de jeu, je tiens à féliciter le Centre basque de Terminologie et de Lexicographie, de même que ses partenaires associés, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce congrès de terminologie qui nous donnera l’occasion de réfléchir à nouveau sur les divers aspects de cette discipline. Et je remercie les organisateurs de m’avoir invité à vous présenter cette conférence inaugurale, me permettant ainsi de participer à vos travaux.

Ce congrès se réunit en Pays basque, dans un pays où le statut d’autonomie permet de rééquilibrer la relation entre la langue espagnole et l’euskera et où la politique de promotion et d’usage de la langue nationale implique un important travail de standardisation de la langue et de mise à niveau des vocabulaires de spécialité. Il se réunit également en Europe, dans une communauté de pays où se discutent beaucoup le statut et l’avenir des langues dites minoritaires, dont le basque et le catalan font partie, et à l’ombre d’une Union européenne qui n’ose pas discuter à découvert de sa politique linguistique et qui semble vouloir, depuis l’époque du Traité de Rome, laisser à la libre concurrence le soin de régler le problème, ce qui est, en soi, une forme de politique linguistique, celle du laisser-faire. Nos travaux et réflexions seront utiles non seulement au Pays basque, mais aussi à l’Europe et à tous les pays qu’elle inclut, où, tôt ou tard, les mêmes questions se poseront.

Les organisateurs du congrès m’ont demandé de brosser, en guise d’introduction, une sorte de panorama des différents angles sous lesquels on peut considérer la terminologie. Vaste programme où le risque du fourre-tout est constant et que chacun d’entre nous pourrait remplir à sa manière. Il me faut donc choisir et si mon choix néglige des aspects qui vous semblent importants, vous nous rendrez grand service en complétant mon exposé lors de la période de discussion.

Pour ma part, je vous propose une réflexion sur deux points principaux.

Les conceptions de la terminologie et les méthodologies qui en découlent sont très différentes selon les objectifs que l’on poursuit. D’où la question : pourquoi fait-on de la terminologie. La terminologie n’est pas monolithique, il est important d’en prendre conscience et de respecter les différentes approches sous lesquelles elle se manifeste dans des lieux et des contextes particuliers et légitimes. Ce sera notre premier point.

La terminologie joue un rôle déterminant dans l’aménagement linguistique d’un pays et ses modes de réalisation s’inscrivent alors dans un ensemble de préoccupations qui sont susceptibles de varier selon les différents contextes où elle intervient, autour d’un noyau commun de considérations théoriques empruntées à la sociolinguistique. Ce sera notre second point, qui lui-même se subdivisera en deux parties : préciser le sens de certains mots clés couramment utilisés et réfléchir sur la stratégie d’implantation des terminologies.

Pourquoi faire de la terminologie

À la réflexion, et après discussion avec nos collègues réunis à Barcelone en juillet dernier, on peut distinguer six motifs principaux de s’engager dans des travaux de terminologie :

De ces différents motifs qui déclenchent l’activité terminologique, nous pouvons dégager quatre approches principales de la terminologie, qui expliquent, à mon sens, les divergences d’opinions en la matière : une approche de normalisation technique du vocabulaire, une approche traductionnelle, une approche documentaire et, enfin, une approche sociolinguistique que nous évoquerons en dernier lieu uniquement pour servir de transition avec le second point de cet exposé.

L’approche de normalisation technique du vocabulaire privilégie l’uniformisation des termes à l’intérieur d’une même langue et même d’une langue à l’autre sur le plan mondial, par une politique soit de l’emprunt, soit de l’adaptation d’un mot de départ aux règles d’un système linguistique particulier. L’objectif poursuivi est l’efficacité de la communication, ce qui fait qu’on désigne parfois cette approche sous l’étiquette de « communicative ». L’idéal est alors un seul terme pour une notion et le même pour tous.

L’approche traductionnelle se caractérise par la recherche du meilleur équivalent en langue d’arrivée à un terme de la langue de départ en fonction du type de texte ou de discours à traduire, selon son niveau de plus ou moins grande technicité, du plus spécialisé au plus vulgarisé. L’objectif est ici d’être fidèle au texte ou au discours de départ.

L’approche documentaire cherche à identifier les termes qui peuvent, avec la plus grande efficacité, rendre compte du contenu d’un document, d’une part, et, d’autre part, faciliter aux usagers le repérage de l’information qu’ils recherchent. Cette approche favorise souvent l’usage de termes dont le statut en terminologie est variable, que ce soit des termes normalisés, des termes courants ou des termes erronés d’usage répandu. Tout dépend du système documentaire lui-même. Aujourd’hui, dans les grandes banques de données, l’objectif premier est le repérage rapide de l’information.

L’approche sociolinguistique poursuit comme objectif la standardisation des terminologies dans le cadre d’un plan d’aménagement linguistique d’une langue, en général explicité par une législation linguistique. Cette activité s’inscrit en conséquence dans une situation sociolinguistique précise, le plus souvent caractérisée par un phénomène de concurrence d’un langue par rapport à une autre, concurrence qu’il s’agit de rééquilibrer en faveur d’un rapport de complémentarité, et par la nécessité de procéder au remplacement d’une langue par une autre dans des domaines clairement identifiés, aussi bien techniques qu’administratifs, juridiques, scolaires, commerciaux, etc. Les travaux de terminologie visent alors la mise au point, la normalisation, la diffusion et l’implantation des vocabulaires de spécialité dans la langue nationale. Lorsque la langue est commune à plusieurs pays, par exemple le français, l’anglais, le basque, le néerlandais, on constate que des faits de culture ou de procédure introduisent nécessairement une certaine variation dans les terminologies. De ce fait, la normalisation des terminologies implique un certain compromis entre deux obligations : introduire des variantes mais ne pas s’éloigner inutilement de l’usage commun à tous les spécialistes de la même langue.

Ces approches correspondent à des théories et à des pratiques de la terminologie qui se concrétisent en deux grandes méthodes de travail, la terminologie systématique et la terminologie ponctuelle.

La terminologie systématique procède par ensembles de termes et de notions qui appartiennent à un même domaine de spécialité, clairement défini et délimité; la recherche s’effectue en général par comparaison entre deux ou plusieurs langues selon la situation sociolinguistique de départ; elle s’effectue par dépouillement d’un corpus de textes représentatifs du domaine au niveau de spécialité choisi ou par observation de l’usage oral des spécialistes, notamment dans le cas des langues à forte tradition orale; les termes sont traités les uns par rapport aux autres dans la même langue pour identifier avec précision chaque notion, faire apparaître les problèmes de synonymie apparente dans la langue cible et leur trouver une solution, mettre en lumière les carences terminologiques dans la langue cible par rapport à la langue de départ qu’il faudra combler soit par la création d’un néologisme de forme ou de sens, soit par un emprunt plus ou moins adapté aux caractéristiques de la langue; enfin, sa préoccupation principale est d’assurer la cohérence de la terminologie du domaine visé.

La terminologie ponctuelle procède au mot à mot; puisque, le plus souvent, le temps est compté, la recherche s’effectue en général à partir de sources lexicographiques publiées, dictionnaires, encyclopédies, lexiques, glossaires, plus rarement par dépouillement de textes, d’où une grande dépendance par rapport à la qualité des sources disponibles; cette manière de procéder exige une grande compétence de la part du traducteur ou du terminologue/rédacteur et augmente les risques d’erreurs.

Aménagement linguistique et terminologie

Dans beaucoup de pays, la terminologie est un moyen d’action au service de la concrétisation d’une politique linguistique qui inclut, à l’évidence, la mise à niveau des terminologies en langue nationale dans des domaines où une autre langue occupait jusqu’alors la place principale, par exemple l’espagnol au Pays basque et en Catalogne, l’anglais au Québec.

L’approche de la terminologie est alors de type sociolinguistique. Elle est partie d’un ensemble de mesures qui, toutes, ont pour objet la même langue, mais selon des objectifs et des méthodologies qui leur sont propres et qu’il faut harmoniser et coordonner. La terminologie est tout particulièrement en rapport avec la lexicographie, celle-ci se préoccupant de la description du vocabulaire de la langue commune, alors que celle-là s’occupe de la description des vocabulaires spécialisés.

Dans une telle situation, lors des discussions ou des travaux, on se réfère à différentes notions, exprimées par des termes plus ou moins rigoureusement définis. On constate alors que ces termes prêtent souvent à confusion. Je crois donc utile à nos travaux d’indiquer ceux qui sont employés en aménagement linguistique et en terminologie et de les définir aussi précisément et aussi succinctement que possible. Disons, pour éclairer ma position, que je m’appuie pour ce faire sur mon expérience de l’aménagement linguistique au Québec depuis 1970, mis à l’épreuve d’observations dans d’autres contextes, notamment en Tunisie (1979-1980) pour l’étude des relations entre l’arabe et le français et l’organisation d’un enseignement de la terminologie adapté aux problèmes de la langue arabe, en Afrique (depuis 1974) où les langues africaines sont à la recherche d’un mode de complémentarité avec le français ou l’anglais et surtout en Catalogne à partir du moment (en 1982) où la Généralitat a décidé de définir et de mettre en vigueur une politique en faveur de l’usage du catalan. Ma préoccupation est d’arriver à une conception de la terminologie qui puisse être utile et efficace lorsqu’il s’agit de mise à niveau d’une langue nationale dans le cadre global d’une politique linguistique. Je me situe donc relativement loin de la stricte terminologie appliquée à la normalisation des terminologies, quoique je sois parfaitement conscient de la nécessité de cette approche dans certaines circonstances. Il ne s’agit donc pas de prendre parti pour une approche au détriment d’une autre, mais de les situer les unes par rapport aux autres selon les domaines de spécialité dont il s’agit. Par exemple, on ne peut aborder de la même manière et dans le même esprit des terminologies aussi différentes du point de vue de leur insertion sociale que la terminologie de l’aciérie électrique, celle des institutions politiques ou le vocabulaire de la découpe des viandes de boucherie. Les incidences culturelles sont plus ou moins déterminantes dans ces différentes situations.

Ceci dit, examinons les termes que nous utiliserons sans doute durant nos travaux.

Politique linguistique : C’est la notion la plus large, celle qui a la plus grande extension. Elle renvoie à toute décision prise pour orienter et régler l’usage d’une ou de plusieurs langues dans les communications d’un État ou d’une organisation. Elle englobe les notions d’aménagement linguistique et de législation linguistique. La politique linguistique peut être implicite ou explicite selon qu’elle est ou n’est pas formulée dans des textes juridiques ou des directives réglementaires : dans le premier cas, on laisse le jeu des forces sociales jouer librement; dans le second, on intervient pour en modifier l’orientation, le plus souvent en faveur d’une ou de plusieurs langues. Dans l’usage courant, ce terme est souvent utilisé en lieu et place de législation linguistique, dans des expressions comme « la politique linguistique du Québec », avec l’inconvénient de restreindre alors la politique linguistique aux seuls cas d’une politique gouvernementale.

Aménagement linguistique : On désigne sous ce terme l’ensemble des mesures qu’arrête un État lorsqu’il choisit d’intervenir dans le mécanisme de la concurrence des langues sur son territoire. L’aménagement linguistique implique à la fois des décisions d’ordre politique et des choix de modes et domaines d’intervention, ce qui suppose une connaissance sociolinguistique des mécanismes de la concurrence linguistique en général et sur un territoire donné en particulier. L’aménagement linguistique peut ne pas prendre la forme d’une loi spécifique et se formuler d’une manière éparse dans une foule d’articles de loi, de règlements, de décisions administratives, d’interventions de diverses natures en matière de langue, dont l’ensemble influence et module l’usage des langues en présence. Mais même si une législation linguistique existe, elle ne touche jamais la totalité des dispositions qui sont prises dans l’ensemble de l’appareil administratif en matière de langue. En Catalogne, on utilise le terme « normalisation linguistique » pour désigner la même notion.

Législation linguistique : Il y a législation linguistique quand un État choisit d’adopter une loi et des règlements pour préciser les rapports entre les langues et leurs domaines d’usage respectifs. En général, la loi définit le statut des langues (y compris par l’abstention), précise leur emploi dans les domaines où il y a ambiguïté ou affrontement, énonce les mesures qui sont prises pour favoriser la prédominance de la langue commune et, au besoin, pour garantir l’usage des langues minoritaires là où il est autorisé, dans le but ultime de guider la conduite des citoyens, personnes physiques ou personnes morales. Aucune loi ne peut, cependant, faire la synthèse de la totalité des dispositions de nature linguistique ou propres à influencer le destin de l’une ou l’autre langue qui sont prises par l’État ou la société. Il se pose donc un problème de cohérence entre la législation linguistique proprement dite et les autres mesures d’aménagement linguistique, notamment en matière d’éducation, d’immigration, de communication, de culture et même de politique familiale.

Certains termes clés sont couramment utilisés en terminologie et en lexicographie, qu’il est bon de présenter ici.

Norme linguistique : La langue est un fait social et son usage au sein de la société est orienté par un ensemble de règles sociales qui ont deux effets :

On parle donc ici d’un processus de standardisation de la langue, où on distingue quatre volets, tous indispensables pour un emploi de la langue dans les communications institutionnalisées : un standard orthographique, un standard de prononciation, un standard grammatical et un standard lexical.

La norme linguistique n’a pas pour objectif de faire disparaître les usages non standards, qui continuent à exister en concurrence avec l’usage standard.

Dans le cas des langues de grande diffusion, comme le français, l’anglais, l’espagnol, ou des langues employées dans plus d’un pays, comme dans le cas de la langue basque partagée par la frontière entre l’Espagne et la France, ou encore dans les cas des langues dont l’usage varie selon les régions d’un même pays, comme en Allemagne ou en Italie, on observe un jeu complexe de normes linguistiques.

Comme pour tout autre fait social, les règles qui régissent l’usage de la langue évoluent avec la société.

Norme lexicale : La norme lexicale a pour objectif de situer les différents usages sociaux du lexique par rapport à un usage standard, c’est-à-dire par rapport à l’usage que la communauté linguistique considère comme celui qui doit être privilégié dans les circonstances de communication formelle.

À partir de l’observation des différents usages, la norme lexicale s’élabore :

La norme lexicale est très polysémique, en ce sens qu’un même mot est susceptible d’avoir plusieurs sens, plus ou moins en rapport les uns avec les autres.

Les mots et les sens qui ne sont pas retenus par la norme lexicale continuent d’exister et peuvent très bien, par la suite, y être intégrés selon l’évolution des mentalités.

Norme terminologique : Les vocabulaires des spécialités font partie du lexique de la langue mais y ont un comportement très différent des mots de la langue commune. D’où la distinction entre lexicographie et terminographie.

La norme terminologique a pour objectif d’assurer l’efficacité de la communication spécialisée en uniformisant la dénomination de chaque notion pour les communications formelles.

À partir de l’observation de l’usage, elle privilégie l’usage par tous d’un seul terme pour désigner une notion. L’idéal en terminologie est la monosémie : un terme pour une notion et le même terme pour tout le monde.

Il s’agit ici d’un processus de normalisation, qui s’apparente beaucoup à la normalisation technique par l’objectif (l’uniformisation du terme) et la manière de procéder (consultation, arbitrage et décision).

La normalisation ne supprime pas les termes qui ne sont pas retenus, qui continuent d’exister dans l’usage. La synonymie existe aussi en terminologie, sauf que la description, sous forme de lexiques et de vocabulaires spécialisés, procède par exclusion des synonymes.

Une tendance récente en terminologie, désignée sous le terme de socioterminologie, se propose de prendre en compte les diverses couches de termes qui gravitent autour d’un terme standard et de les situer par rapport à lui selon les circonstances de communication et les groupes d’utilisateurs. Cette manière de faire aurait l’avantage de faire cohabiter harmonieusement différents termes pour une même notion en évitant l’ostracisme de l’exclusion. Par exemple, en aciérie électrique, on appelle « laitier » (terme standard) le résidu d’une poche de coulée, qu’on appelle « pizza » en langue familière dans les usines du Québec.

La relation entre norme lexicale et norme terminologique est complexe.

Stratégie d’implantation des terminologies

Une fois le travail terminologique terminé et ses résultats publiés sous forme de dictionnaires, de lexiques ou de glossaires, ou encore mis à la disposition du public sur support informatique, banque de terminologie ou cédéroms, il demeure la grande question de son implantation dans l’usage réel. Pour la plupart des équipes qui pratiquent la terminologie selon l’approche sociolinguistique, c’est l’étape la plus problématique, parce qu’il est à la fois difficile de concevoir et d’appliquer une stratégie d’implantation et parce qu’il faut beaucoup de temps pour juger de son efficacité, car le changement linguistique, même planifié, est un processus qui prend du temps, au moins une vingtaine d’années.

Je propose à votre réflexion les éléments d’une stratégie d’implantation telle que je peux la concevoir aujourd’hui avec le recul.

Le principe fondamental en est le suivant : la terminologie se diffuse par son insertion dans les communications institutionnalisées, qui façonnent l’usage des locuteurs individuels. Pour diffuser avec efficacité une terminologie, il est donc nécessaire de l’insérer dans le réseau normal des institutions qui en font un usage quotidien et répétitif.

Ce principe repose sur la distinction entre communication individualisée et communication institutionnalisée.

Nous entendons par communication individualisée l’acte personnel par lequel un individu entre en relation avec un autre au moyen du langage. La liberté dont jouit alors l’émetteur est ambiguë. D’un côté, elle est en principe totale : l’individu a le droit le plus strict et le pouvoir le plus absolu d’utiliser la langue comme il le veut. De l’autre, cette liberté est en fait réduite d’une part par le contrôle social qu’exerce la norme linguistique, d’autre part par la nécessité de tenir compte des ressources langagières du récepteur du message. Les communications individualisées se font le plus souvent en langue parlée, parfois en langue écrite, avec, souvent, une certaine charge affective.

En contraste, nous désignons sous le terme de communication institutionnalisée l’acte, le plus souvent anonyme ou impersonnel, par lequel une institution entre en relation avec des personnes, soit avec ses membres, par exemple l’État avec les citoyens, soit avec son personnel dans la relation employeur-employé, soit avec ses clients. L’institution a le pouvoir de déterminer le type de langue dont elle fera sa norme et a le pouvoir de contrôler la qualité de ses communications. Le plus souvent, il s’agit de communications écrites, donc émises après réflexion et consultation des ouvrages de référence au besoin. Bien sûr, à l’origine des communications institutionnalisées, il y a un rédacteur ou un locuteur individuel, mais placé dans une situation telle que, d’une part, la connaissance de la langue et de la terminologie de sa spécialité font partie de sa compétence professionnelle, et que, d’autre part, il lui faut ou respecter les directives de son institution, ou soumettre ses textes à un contrôle de qualité dans les cas de documents importants. En effet, la plupart des grandes entreprises sont dotées d’une direction des relations publiques qui s’assure de la qualité des communications de l’entreprise; au Québec, chaque ministère et chaque organisme disposent d’une direction des communications qui assume la même fonction.

La contrepartie de ce premier principe, c’est qu’il ne faut pas faire reposer sur le locuteur individuel la diffusion des terminologies. Il peut en faire son usage personnel, mais il ne peut pas en assumer la diffusion sociale. Il n’en a ni le pouvoir ni les moyens.

Autre idée-force : en concevant une stratégie d’implantation terminologique, il faut se garder de l’illusion de vouloir faire disparaître les variantes. Il y aura toujours plusieurs couches de terminologie, qui coexisteront dans l’usage quotidien, selon les circonstances de communication. Il est totalement illusoire et aberrant du point de vue linguistique de chercher à contrer ce phénomène. L’essentiel ici est d’insérer les termes recommandés dans l’usage standard de chaque spécialité de manière à ce que les variantes se situent correctement par rapport à eux.

Enfin, il existe un petit nombre de lieux qui jouent un rôle de premier plan dans la diffusion des terminologies et qui, en conséquence, doivent être mis à contribution non seulement dans la stratégie d’implantation, mais même, en aval, dans la méthodologie du travail terminologique, au moment de choisir les membres d’un comité de normalisation. Les plus importants sont : le réseau d’enseignement technique et professionnel; les organismes responsables de la préparation et de la rédaction des lois, règlements, codes, normes techniques; les directions des communications dans les entreprises et les organismes de l’administration publique; enfin, les éditeurs d’ouvrages ou revues spécialisées, à des niveaux variables de vulgarisation.

Chose certaine, on peut dire, en abordant l’implantation a contrario, que ce n’est pas l’équipe qui assume les travaux de terminologie qui est la mieux placée pour assurer la diffusion des résultats de ses travaux. Mais elle doit, au contraire, intégrer dans sa stratégie la participation des utilisateurs réels de chaque terminologie et s’assurer du concours des institutions les plus aptes à intégrer les nouveautés terminologiques dans leurs communications institutionnelles.

En guise de conclusion

Voilà donc un long parcours, un peu trop dense peut-être, qui nous a conduit des conceptions de la terminologie à l’implantation des termes dans l’usage réel.

Mais c’est ainsi que sont les choses : la terminologie n’est pas une simple activité de recherche portant sur les vocabulaires de spécialité, c’est surtout et fondamentalement, une entreprise d’orientation de l’usage et de changement linguistique planifié.

Abstract (anglais)

This paper reflects on two major points:

  • the concepts of terminology and the methods deriving from the question “why do we make up terminology?”; and
  • the decisive role played by terminology in the linguistic planning of a country.

Why make up terminology?

Six main reasons can be given for undertaking terminological work: 1,-terminology is an essential support for practical linguistic policy; 2.- it is a support for definition in technical standards and in drawing up laws, regulations and codes; 3,- it is necessary in order to solve terminological problems which arise in the practice of a profession, in teaching a subject, in drawing up a catalogue or in commercial advertising; 4,-it is necessary to certify documentary thesauruses; 5.- it is necessary for the translation or drawing up of texts, and in simultaneous translation and conference interpreting; 6.- it is necessary in order to be able to answer the questions of users in the day to day work of any linguistic and terminological consultation service.

Terminologies therefore have four main purposes: technical standardisation of vocabulary, translation, documentation and sociolinguistic purpose. This results in two main working methods: systematic terminology and one-off terminology.

Linguistic planning and terminology

Vocabulary in this field is often vague, so we shall define the following terms: linguistic policy, linguistic planning, linguistic legislation, linguistic standards (and by derivation standard usage and standardisation), lexical standards and terminological standards, and the relationships between them.

Terminology implementation strategy

We shall look at the elements of a terminology implementation strategy. The main principal is that terminology is disseminated by its insertion in institutionalised communications which establish how individual speakers should use it: hence the difference between individualised communication and institutionalised communication.

The other side of the coin in this first principle is that individual speakers should not be burdened with the responsibility for disseminating terminology.

Finally, there are a small number of environments which play a leading role in the dissemination of terminologies.

Using the opposite argument, we can state that a team which undertakes terminological work is not in the best position to ensure that the results of that work are disseminated.

In conclusion

Terminological work is not merely a research activity aimed at specialist vocabularies: it is above all a matter of orienting use and of planned linguistic change.

Laburpena (basque)

Bi puntu garrantzitsuri buruzko gogoeta egitea proposatzen digu txosten honek :

  • terminologiaren ikuskerari buruz eta “zergatik egiten da terminologia?” galderaren ondoriozko metodologiari buruz, eta
  • terminologiak edozein herritako hizkuntza-plangintzan betetzen duen eginkizunari buruz.

Zergatik jardun terminologi lanetan

Badira garrantzizko sei arrazoi terminologi lanetan aritzeko. Hona : 1- Hizkuntza-politika zertzeko nahitaezko oinarria da terminologia; 2- Arau teknikoak zehazteko euskarri da; areago, baita legeak, erregelamenduak edo kodeak idazteko ere; 3- Lanbide bateko jardunean, gairen bat erakusterakoan, katalogo bat egin behar denean edo merkataritzako publizitatean sortzen diren terminologi arazoei irtenbidea emateko ezinbestekoa; 4-Dokumentazioko thesaurusak konpultsatzeko beharrezkoa; 5- Testu bat itzuli edo idazteko, edo hitzaldi batean aldi bereko itzulpena edo interpretazioa egiteko derrigorrezkoa; 6- Baita erabiltzaileen galderei erantzuteko ere hizkuntza- eta terminologia-kontsultetarako zerbitzuan, egunean eguneango jardunean.

Horrenbestez, lau helburu nagusi ditu terminologiak : hiztegiaren normalizazio teknikokoa, itzulpengintzakoa, dokumentaziokoa eta, azkenean, soziolinguistikakoa. Eta, ondorioz, bi lan-metodo garrantzitsu : terminologia sistematikoa eta terminologia puntuala.

Hizkuntza-plangintza eta terminologia

Arlo honetako hiztegia lausoa da sarritan. Zehaztea komeni da, bada, honako terminook : hizkuntza-politika, hizkuntza-plangintza, hizkuntza-legeria, hizkuntza-araua (hortik erabilera estandarra eta estandarizazioa), lexiko-araua, terminologia-araua; baita euren arteko erlazioa ere.

Terminologia ezartzeko estrategia

Terminologiak ezartzeko estrategiaz gogoeta egin beharra dugu.

Hau da oinarrizko printzipioa : erakundetutako komunikazioen bitartez hedatzen da terminologia; erakundetutako komunikazio horrek zehazten dio hiztun bakoitzari zein terminologia erabili; hortik, bada, norbanakoen arteko komunikazioaren eta erakundetutako komunikazioaren arteko aldea.

Aurreneko printzipio horren ordezko zera dugu, hots, terminoak zabaltzeko ardura ez dela hiztun bakoitzaren esku uztekoa.

Azkenik, badira esparru gutxi batzuk garrantzi handikoak terminologia hedatzekoan.

Egia dela esan dezakegu, a contrario argudioa erabiliz, ez dela terminologia lanak bere gain hartzen dituen taldea aukerarik egokienak dituena bere lanen emaitzak zabaltzeko.

Ondorioz

Terminologia ez da espezialitateko hiztegietara begira egiten den ikerketa hutsa; hizkuntzaren erabilera eta aldaketaren planifikazioa bideratzeko eginkizuna da batez ere.

Resumen (espagnol)

La ponencia propone una reflexión sobre dos puntos primordiales como son :

  • las concepciones de la terminología y las metodologías que se derivan de la pregunta “¿por qué se hace terminología?”
  • el papel determinante que desempeña la terminología en la planificación lingüística de un país.

Por qué hacer terminología

Se pueden distinguir seis importantes razones para comprometerse en trabajos de terminología : 1- Es soporte indispensable para la práctica de una política lingüística; 2- Es soporte de la definición de una norma técnica, o incluso de la redacción de una ley, un reglamento o un código; 3- Es obligatoria para la solución de los problemas terminológicos que se plantean en el ejercicio de una profesión, la enseñanza de una materia, la elaboración de un catálogo o en la publicidad comercial; 4- Es precisa para compulsar tesauros documentales; 5- Es necesaria, bien para traducir, bien para redactar un texto, o tanto para la traducción simultánea como para la labor de intérprete en una conferencia; 6- Asimismo, para responder a las preguntas de los usuarios en la tarea diaria propia de cualquier servicio de consulta lingüística y terminológica.

En consecuencia, la terminología tiene cuatro objetivos principales : el de la normalización técnica del vocabulario, el traduccional, el documental y, por fin, el sociolingüístico. De lo referido se derivan dos grandes métodos de trabajo : el de la terminología sistemática y el de la terminología puntual.

Planificación lingüística y terminología

En este campo, el vocabulario es a menudo impreciso. Por ello, pues, definiremos los siguientes términos : política lingüística, planificación lingüística, legislación lingüística, norma lingüística - y de ahí el uso estándar y la estandarización-, norma léxica, norma terminológica y relaciones entre ellas.

Estrategia de implantación de terminologías

Reflexionaremos sobre los elementos de una estrategia de implantación de terminologías.

El principio fundamental es el siguiente : la terminología se difunde por su inserción en las comunicaciones institucionalizadas que fijan el uso que de ella deben hacer los hablantes particulares; de ahí la distinción entre comunicación individualizada y comunicación institucionalizada.

La contrapartida de este primer principio es que no se debe cargar al hablante particular con la responsabilidad de difundir las terminologías.

En definitiva, existe un reducido número de ámbitos que desempeñan un papel de primer orden en la difusión de las terminologías.

Es cosa cierta, podemos afirmar empleando el argumento a contrario, que no es precisamente el equipo que asume los trabajos de terminología quien mejor situado está para asegurar la difusión de los resultados de sus trabajos.

A modo de conclusión

La terminología no es una mera actividad de investigación dirigida a los vocabularios de especialidad; es sobre todo y fundamentalmente una empresa de orientación del uso y de cambio lingüístico planificado.

Référence bibliographique

Corbeil, Jean-Claude, «La terminologie : une discipline au service d’objectifs multiples», Nazioarteko Terminologia Biltzarra [Actes du Congrès international de terminologie, Saint Sébastien, 12, 13 et 14 novembre 1997], Donostia [Saint Sébastien], Unibertsitate Zerbitzuetarako Euskal Ikastetxea, Vitoria-Gasteiz, Instituto Vasco de Administración Pública, 1997, p. 35-51. [article]